2-5 février 2007, Lyon
Par le Dr Elisabeth ELEFANT*
UN FREIN évident à la prescription en cours de grossesse est la crainte d’un effet tératogène des traitements proposés. Dans la population générale, environ 3 % des enfants naissent porteurs d’une malformation congénitale, et ce indépendamment de toute exposition pharmacologique (ou autre) en début de grossesse. Les malformations congénitales sont consécutives dans leur très grande majorité à un événement qui est venu perturber l’organogenèse, c’est-à-dire la période des deux premiers mois de grossesse. Au-delà, l’embryon passe en vie foetale. Pendant cette longue période de sept mois, les molécules absorbées par la mère sont susceptibles de passer dans la circulation foetale par le placenta, qui n’effectue aucune fonction de barrière protectrice vis-à-vis du foetus (sauf pour quelques rares molécules qui ne peuvent le franchir, en raison de leur très gros poids moléculaire). Les risques auxquels le foetus est susceptible d’être confronté ne sont plus d’ordre malformatif, mais fonctionnel : retard de croissance, troubles fonctionnels de divers appareils, effets pharmacologiques… Enfin, un autre aspect de la problématique globale ne doit jamais être perdu de vue : le bénéfice thérapeutique maternel. Pour certaines pathologies, telles que l’asthme, le déséquilibre consécutif à un allégement, voire un arrêt, du traitement peut gravement compromettre l’équilibre maternel. Les répercussions d’une décompensation en cours de grossesse peuvent être calamiteuses pour la mère et pour le foetus, et tout doit être mis en oeuvre pour que l’équilibre thérapeutique soit maintenu en cours de grossesse, quitte à utiliser des molécules de commercialisation récentes pour y parvenir.
La prise en charge de l’asthme.
Chez la femme enceinte, l’asthme doit être traité aussi efficacement qu’en dehors de la grossesse, l’objectif étant d’éviter toute hypoxie maternelle en raison de son préjudice foetal important. La stratégie thérapeutique et le choix des classes d’antiasthmatiques se feront de la même façon qu’en dehors de la grossesse. En ce qui concerne les corticoïdes, on préférera le budésonide ou la béclométasone, corticoïdes inhalés, les mieux évalués en cours de grossesse. Cependant, si la fluticasone inhalée est efficace ou présente un avantage thérapeutique pour une patiente donnée, elle pourra être utilisée quel que soit le terme de la grossesse. La prednisone et la prednisolone, par voies orale et injectable, peuvent être employées, quel que soit le terme de la grossesse, si nécessaire. Pour les bêta 2-mimétiques rapides et de courte durée d’action, on préférera, si possible, le salbutamol ou la terbutaline inhalés, mieux connus chez la femme enceinte. Si l’on pense que le fénotérol ou le pirbutérol présentent un réel avantage, ils pourront être prescrits à posologie efficace quel que soit le terme de la grossesse. Parmi les bêtamimétiques d’action prolongée, on préférera la voie inhalée en raison du passage systémique moindre : formotérol ou salmétérol. Les bêtamimétiques d’action prolongée absorbés per os ne seront proposés qu’en deuxième intention : terbutaline LP ou bambutérol. Cependant, s’ils sont nécessaires au bon équilibre de l’asthme, ils pourront être employés à posologie efficace pendant toute la grossesse, assortis d’une surveillance néonatale en cas de prise jusqu’à l’accouchement (accélération du rythme cardiaque, troubles de la glycorégulation…). Les bronchodilatateurs anticholinergiques, ipratropium bromure et oxitropium bromure, peuvent être utilisés chez la femme enceinte s’ils se révèlent nécessaires dans le contrôle de la pathologie asthmatique ; de même pour le montélukast.
L’acide cromoglicique peut également être prescrit chez la femme enceinte en raison d’un recul clinique important.
Antihistaminiques non atropiniques et peu sédatifs.
Les données publiées chez les femmes enceintes exposées aux antihista- miniques H1 au premier trimestre de la grossesse sont d’importance très variable en fonction des molécules, mais, à ce jour, aucun effet malformatif ne leur est attribué.
En théorie, l’administration d’un médicament jusqu’à l’accouchement peut entraîner des effets néonatals dont la nature se superpose souvent aux effets recherchés et/ou indésirables chez l’adulte. Les antihistaminiques H1 non atropiniques et peu sédatifs sont donc moins susceptibles d’entraîner des effets chez le nouveau-né. Pour les molécules suivantes, les données sont nombreuses en cours de grossesse et leur profil de tolérance est meilleur pour le nouveau-né. C’est donc ceux que l’on préférera utiliser quel que soit le terme de la grossesse : cétirizine, desloratadine, fexofénadine, lévocétirizine et loratadine.
Les antitussifs.
Il existe plusieurs classes d’antitussifs. Il s’agit essentiellement des opioïdes légers, des antihistaminiques anticholinergiques et des médicaments à base de plantes. Le dextrométhorphane ou la codéine, opioïdes légers, sont les antitussifs les mieux connus chez la femme enceinte. Ils peuvent être utilisés pendant toute la grossesse, dans le respect des posologies. On préférera les spécialités ne contenant qu’un seul principe actif. On évitera les antitussifs antihistaminiques anticholinergiques, en particulier à l’approche de l’accouchement, car ils sont susceptibles d’entraîner des effets sédatifs et atropiniques chez le nouveau-né. On évitera également les spécialités contenant des plantes, faute de données.
Substitution nicotinique.
Il est souhaitable d’envisager toutes les mesures destinées à éviter la poursuite du tabagisme maternel en cours de grossesse, à l’exception de la prescription de bupropion.
Une prise en charge adaptée doit être entreprise, de préférence avant la conception ou le plus rapidement possible au cours de la grossesse.
Si un sevrage n’est pas possible avec une prise en charge spécialisée seule, on peut envisager d’y adjoindre une substitution nicotinique pendant toute la grossesse. A ce jour, aucun effet malformatif n’est attribué aux substituts nicotiniques au premier trimestre de la grossesse quel que soit leur mode d’administration (patchs, gommes, inhaleurs…). Les conclusions alarmistes d’une étude récente ne peuvent en aucun cas être retenues, en raison de nombreux biais majeurs retrouvés dans sa méthodologie (Morales-Suares-Varela et coll. « Obstet Gynecol » 2006 ; 107 : 51-57). En cours de grossesse, cette substitution sera de préférence mise en route et évaluée dans le cadre d’une consultation spécialisée.
* Centre de référence sur les agents tératogènes – Crat, hôpital Trousseau, Paris. Pour toute autre information relative à la thérapeutique pneumologique en cours de grossesse, le lecteur peut s’adresser au centre de référence sur les agents tératogènes – Crat (hôpital Trousseau, 26, avenue du Docteur-Netter, 75571 Paris Cedex 12, tél./fax : 01.43.41.26.22, tous les jours, de 9 h à 18 h) ou consulter son site Internet : http://www.lecrat.org.
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