THEATRE
PAR ARMELLE HELIOT
Difficile de jouer Guitry. Très difficile. Un bonheur en même temps : c'est brillant, grisant, mais comment faire aujourd'hui avec ces comédies délicieusement désuètes ? La société, les relations hommes/femmes sur lesquelles le divin Sacha adosse ses intrigues ne sont plus tout à fait de saison, on en conviendra. Et puis comment oublier le créateur de tant de rôles, l'homme au si particulier phrasé qui nous est proche par les films, les enregistrements sonores ?
Difficile mais excitant, c'est ce qu'a dû se dire Michel Piccoli qui, depuis qu'il est revenu au théâtre à l'orée des années 1980, a joué Tchekhov avec Brook, Schnitzler et Ibsen avec Bondy, Koltès avec Chéreau, Duras avec Wilson, Pirandello avec Gruber.
Guitry avec Murat, c'est autre chose : un théâtre de divertissement. Mais, et c'est tout l'intérêt de cette entreprise, Murat est un bon directeur d'acteurs, Piccoli un artiste qui peut oser, qui est d'un tempérament intrépide et qui ne se contente pas d'être où l'exige Guitry, mais vous creuse un personnage, va jusqu'au bout de cette maladie à tonalité délirante qu'est la jalousie. Dès la première scène, on en prend la mesure et, tout au long de la représentation, Piccoli tient le registre qu'il a choisi, sans jamais éroder la puissance comique de la pièce.
Albert Blondel est en retard. Il s'est laissé, littéralement, séduire par une charmante. Que va-t-il pouvoir inventer pour que sa femme, l'élégante Marthe (Anne Brochet), accepte cette exception à la règle ? Mais voilà qu'elle aussi est sortie de ses douces habitudes. Non seulement elle est sortie vers quatre heures. Mais elle n'est toujours pas rentrée...
Ce tout petit grain de sable suffit au jeune Sacha Guitry (la pièce a été créée en 1915, Murat et Nicolas Sire la situent dans les années trente) pour enclencher la corrosive mécanique d'une comédie rosse, féroce et d'un humour irrésistible.
On vous passera les rebondissements qui trouvent une partie de leur plasticité dans la personne d'un aimable gandin se prétendant écrivain joué avec une merveilleuse alacrité par un Stéphane Freiss en très, très grande forme...
Ce qui retient, ici, c'est le jeu de Piccoli qui donne à Blondel la dimension d'un égaré de la lande. Il rugit, il éructe, il souffre, il s'emporte, il échaffaude les scénarios de son malheur, il se perd. Dans l'il, dans le sourire, dans le timbre, dans un débit excellent, Michel Piccoli nous montre quels ferments de pure folie sont tapis dans ce sentiment étrange et douloureux, dévastateur, qu'est la jalousie. Il en devient presqu'inquiétant et cela donne au personnage de Marthe un relief saisissant, bien tenu par la ravissante Anne Brochet, très juste et qui a su trouver l'autorité qui convient à l'intelligente jeune femme - ce qu'elle a peut-être voulu marquer par ces cheveux noirs et tirés qui durcissent inutilement son beau visage.
Joli décor un peu passe-partout de Nicolas Sire, costumes seyants de Bernadette Villard, apparitions fruitées d'Annick Alane, Sylvie Flepp, Michel Crémadès : de la belle ouvrage. Avec ce supplément-là et qui n'est pas rien : Michel Piccoli. Il ose comme un Italien, il dose comme l'esprit aigü qu'il est. Il est aussi magnifique que dans « Le Roi se meurt » , d'Eugène Ionesco, qu'il joue en ouverture du film sublime et subtil d'Oliveira « Je rentre à la maison » ...
Théâtre Edouard VII. A 21 heures du mardi au samedi, en matinée le samedi à 18 heures et le dimanche à 15 h 30 (01.47.42.59.92). Durée : 1 h 50 sans entracte. A signaler un programme bien composé (8 euros soit 52,47 F).
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature