NI FASCINATION béate devant les performances annoncées d'un nanomonde conquérant et d'une nanomédecine aux promesses diagnostiques et thérapeutiques prodigieuses, ni catastrophisme inquiet, les membres du Comité consultatif national d'éthique (Ccne) ont voulu se pencher, «en simples citoyens», sur les questions que posent les nanosciences et les nanotechnologies à la société. «L'éthique n'est pas là pour dire le bien ou le mal», répète le Pr Didier Sicard, président du Ccne. «Nous ne sommes pas des experts du nanomonde», poursuit-il, mais «la société a le droit de s'interroger et de poser des questions, voire même des questions impertinentes et insolentes».
Selon les rapporteurs de l'avis du Ccne, Claude Burlet et Jean-Claude Ameisen, les nanosciences et les nanotechnologies, qui sont souvent présentées comme une révolution scientifique, ne semblent pas encore avoir modifié notre représentation de l'univers ni apporté une nouvelle grille de lecture de la réalité. En dépit du discours ambiant plutôt triomphaliste, les réalisations actuelles sont modestes, notamment dans le domaine médical : «Pour le moment, ce sont surtout des peintures, des capteurs d'airbag, des revêtements de route, des têtes d'imprimantes à jet d'encre, des cosmétiques qui sont mis sur le marché par les fabricants», souligne l'avis. Il s'agit d'une «révolution technologique en attente peut-être d'une révolution scientifique, d'une discipline qui se présente comme une science, alors qu'elle est pour l'instant essentiellement une avancée remarquable de nature technologique».
Des questions éthiques anciennes.
De fait, les questions éthiques que posent les nanosciences «sont anciennes mais le contexte est nouveau», comme le résume Jean-Claude Ameisen.
Les nanoparticules ont toujours existé dans notre environnement – comme la radioactivité naturelle –, mais les technologies actuelles permettent «de donner naissance à des particules qui n'avaient aucune chance de se produire naturellement dans l'environnement», explique Claude Burdet. Or des incertitudes demeurent quant à leurs effets sur le vivant et sur l'environnement. Il y a donc nécessité de mieux comprendre par la recherche fondamentale. Ce qui inquiète le Ccne, «c'est la proximité entre les nanosciences et les nanotechnologies, entre le concept et l'application». Les problèmes de secret industriel, de brevet et de propriété intellectuelle entravent la libre publication et la circulation d'informations importantes. Les sages insistent sur la nécessité du partage des connaissances et se prononcent en faveur de modèles tels que l'obligation récente de déclaration et de mise en ligne de tous les projets d'essais thérapeutiques ou la directive Reach pour les produits chimiques, qui oblige les industriels à démontrer la non-toxicité de leurs produits. Ils proposent que tous les appels à projet s'accompagnent d'une recherche pluridisciplinaire sur les effets primaires des nanomatériaux et des nanosystèmes sur l'environnement, sur la santé et sur leurs implications biologiques positives et négatives.
Le manque de transparence de l'information pose aussi des problèmes éthiques : «Il n'est pas possible d'exercer une responsabilité si on ne dispose pas d'informations pertinentes. C'est la base du consentement libre et informé», note Jean-Claude Ameisen. Pour éclairer les choix de la société, elle doit obtenir des informations qui vont au-delà de la fabrication du produit. Le développement de la recherche fondamentale semble, là encore, essentiel.
Les produits sont fabriqués et vendus avant d'être parfaitement compris et il s'agit d'inverser cette tendance. «Il faut favoriser la recherche pour comprendre plutôt que la recherche pour vendre», insiste Claude Burlet.
Développer la nanométrologie.
D'autres incertitudes et dangers potentiels sont liés au développement des nanosystèmes moléculaires. Ils ont la redoutable propriété «de traverser les barrières biologiques, notamment entre le sang et le cerveau et d'être actuellement pas ou peu dégradables, ce qui risque d'avoir, en dehors d'indications thérapeutiques précises, des conséquences majeures pour la santé».
La traçabilité des nanoparticules pose également problème, car elles sont indétectables dans l'environnement. «Il est urgent de développer des outils (nanométrologie) qui permettent de les détecter et de les identifier», affirme le Ccne.
Protéger les travailleurs.
Parmi ses 9 recommandations, le comité propose que la priorité soit donnée à toutes les mesures nécessaires à la protection des travailleurs et des scientifiques qui sont en contact avec les nanomatériaux. «A titre de précaution, les femmes enceintes devraient être exclues de ces postes. Un suivi des foetus et des nouveau-nés devrait être réglementairement prescrit en cas de risque», insistent les sages. Dans le cadre de la médecine du travail et des comités d'hygiène et de sécurité, des guides de bonnes pratiques devraient être exigés.
Enfin, le Ccne recommande «une vigilance extrême sur les conséquences en matière de libertés individuelles et de respect de la dignité humaine».
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