«UN ABBÉ de cri et d’émotion.» L’épitaphe est de Bernard Kouchner. Le fondateur de MSF et de MDM, qui avait publié un livre d’entretiens avec le fondateur d’Emmaüs (« Dieu et les hommes », Robert Laffont), a trouvé les mots pour saluer celui qui maniait si bien et si fort le vocabulaire de la sainte colère : «Je suis vraiment heureux d’avoir à ma petite mesure appris la leçon de son illégalité lorsqu’il fallait, de son ingérence, de cette loi du tapage qu’il a inventée en 1954 dans l’insurrection de la bonté qui a caractérisé cette période, de la bataille éternelle contre le malheur pour les sans-logis (...) C’était le contraire d’un abbé de cour, c’était un abbé de combat, et je pense à cette vie si riche, tellement humaine entre Dieu et le péché, entre le combat et l’admiration pour tous ceux qui résistaient dans la vie.»
A la croisée de la politique et de l’humanitaire, cet hommage est décliné sur tous les modes, depuis l’annonce, au petit matin de lundi, de la mort de l’abbé Pierre, à l’âge de 94 ans, des suites d’une infection pulmonaire.
«Son message sonne comme un rappel des valeurs de solidarité qui doivent toujours nous animer», estime Xavier Bertrand. Le ministre de la Santé et des Solidarités souligne que «c’est avant tout l’homme de l’indignation, et de l’indignation salutaire, de la dignité de l’Homme au coeur des situations qui en semblent le plus dépourvues qui disparaît».
Philippe Douste-Blazy, ministre des Affaires étrangères et ancien ministre de la Santé, note que l’abbé Pierre «incarnait un exemple de don de soi, de service pour les autres, et laisse à notre pays un message et une exigence d’action auprès des plus humbles et des plus démunis.»
Il «a su dès son appel historique de l’hiver 1954 montrer que la solidarité est une des valeurs essentielles d’une société moderne, ajoute la ministre déléguée à la Cohésion sociale et à la Parité, Catherine Vautrin. Jamais il n’a cessé de se battre pour améliorer le sort des plus démunis, avec toujours autant de conviction et de foi en un monde plus juste. Jamais il n’a baissé les bras, malgré les difficultés et une misère inacceptable qui touchent toujours certains de nos concitoyens.»
Pour le Dr André Rossinot, président du Parti radical, il «fut tout pour tous ceux qui n’ont rien (...) Il restera au coeur des Français comme celui qui condamne cette tendance collective à l’autosatisfaction et réveille nos consciences».
L’architecte du droit au logement.
Les associations accusent aussi le coup. A Médecins du Monde, un communiqué salue «l’engagement sans faille du fondateur du mouvement Emmaüs pour améliorer le sort des personnes sans abri, dénoncer l’expulsion des Roms ou réclamer des droits pour les étrangers». Responsable de la mission SDF à MDM, Graciela Robert souligne que «c’est lui l’architecte du droit au logement, dans sa conception, dans sa lutte, dans sa persévérance, sa conviction en faveur d’un droit au logement pour tous, pour les gens les plus démunis. Il a marqué notre histoire et restera la référence la plus importante de l’accès au logement pour ceux qui n’avaient plus de toit».
Ancien président de la Croix-Rouge française, membre de la Halde (Haute Autorité de lutte contre les discriminations), le Pr Marc Gentilini se souvient d’ «avoir entendu, jeune étudiant, à la Cité universitaire, à Paris, l’appel au secours du 1erfévrier 1954.
Ayant dirigé une institution importante comme la CRF, je reste surtout frappé par la force incroyable de cet homme seul, qui, certes, a créé un mouvement dans son sillage, mais qui devait surtout la puissance de son action politique et sociale à son sens spirituel de l’existence».
Le leurre de l’action caritative.
«J’étais personnellement trop jeune pour réagir à l’appel, mais en m’inclinant devant un mythe, tout en rendant hommage, comme tout le monde, à l’endurance et à la persévérance tout à fait exceptionnelles de l’homme, je ne puis que m’interroger, confie au “Quotidien” le Dr Jean-Hervé Bradol, président de Médecins sans Frontières : aujourd’hui l’action caritative ne constitue-t-elle pas une forme de leurre, alors que les dossiers sociaux majeurs ne sauraient connaître de traitement en dehors de la sphère politique? On l’a bien vu pour l’accès aux soins, avec la loi CMU votée en 2000, on le voit pour l’accès au logement, avec la loi sur le droit opposable au logement qui devrait être adoptée le mois prochain par le Parlement: la meilleure façon de faire progresser un dossier consiste à le porter au coeur du débat politique, l’approche humaniste devant finalement s’effacer. Cinquante ans après l’abbé Pierre, Augustin Legrand, en déstabilisant l’établissement en place, a contraint à l’action tous les acteurs politiques, président de la République en tête. De ce point de vue, l’abbé Pierre a joué un rôle de pionnier dans la mise en demeure du pouvoir.»
Le ministre de la Cohésion sociale, de l’Emploi et du Logement, Jean-Louis Borloo, n’en disconvient pas, allant même jusqu’à déclarer à la presse : « C’est comme s’il partait alors qu’il vient de gagner son dernier combat, avec le projet de loi sur le droit au logement opposable adopté mercredi dernier en conseil des ministres et la loi qui permet aux chibanis, les vieux travailleurs migrants, de finir leur vie où ils veulent, alors qu’ils devaient auparavant résider en France pour percevoir une aide au logement, l’assurance-maladie ou l’assurance-vieillesse.» «Pour moi, il n’est pas parti, il a fini son oeuvre, ajoute M. Borloo, qui annonce que la loi sur le logement opposable pourrait porter son nom, une manière de maintenir toujours vivants son nom et son action.»
Président-fondateur du Samu social et président du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, le Dr Xavier Emmanuelli considère également que «le droit au logement pour lequel (l’abbé Pierre) s’est battu a trouvé, et c’est une coïncidence, son aboutissement juste ces temps-ci, et c’est le moment qu’il choisit pour nous quitter. Et lui, au bout de son souffle, il part à ce moment-là, comme une partie du travail était accomplie».
«Sans jamais être dupe de quiconque, avec une allure parfois ingénue, l’abbé, le premier, aura su mettre en miroir la politique, l’humanitaire et les médias, confie le Dr Emmanuelli au “Quotidien” . Cela restera l’un de ses grands mérites.»
«Le meilleur hommage que le mouvement Emmaüs peut rendre à l’abbé Pierre, estime à cet égard le mouvement Emmaüs, ne tient ni en un seul mot ni en mille. Le véritable hommage, c’est de continuer.» C’est ce que font salariés et bénévoles au sein des 250 groupes d’Emmaüs France, des 400 groupes implantés dans une quarantaine de pays, avec des milliers de logements sociaux, des dizaines de structures d’accueil, à l’exemple de celles où intervient le Dr Claire Schwartz (lire ci-contre).
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