LE QUOTIDIENØ: Que pensez-vous de ce débat sur la baisse ou le blocage du prix des lunettes ?
LUDOVIC MATHIEUØ: Le prix des lunettes est un sujet, bien sûr, mais ce n’est pas tout le sujet ! Attention aux idées reçues, aux raccourcis et arguments parfois réducteurs que l’on a trop souvent entendus. On a, par exemple, beaucoup parlé du prix moyen de l’optique, tel un indicateur souverain, mais chacun sait que cela ne fait aucun sens. Il n’existe pas de besoin moyen et les verres ophtalmiques sont pour la plupart fabriqués à l’unité, sur-mesure, pour répondre le mieux possible au besoin spécifique de chaque patient, quelle que soit la complexité de son handicap visuel.
La seule question à se poser est celle de l’accès de chacun à une solution adaptée au meilleur coût. Notre catalogue le permet aujourd’hui, avec des verres pour tous les budgets. Mais nous pouvons – nous devons – collectivement, faire encore mieux ! Dans ce cadre, si nous nous réjouissons de l’intérêt récent des pouvoirs publics pour notre filière, nous regrettons la focalisation excessive sur la question du prix, rejetant au second plan les problématiques majeures et croissantes de santé visuelle.
Que voulez-vous dire ?
Ces derniers temps, nous avons assisté à une sorte de glissement sémantique pouvant laisser penser que les produits optiques étaient des biens de consommation ordinaire, au même titre qu’un forfait téléphonique ou un écran HD. Chacun doit bien garder en tête qu’un verre ophtalmique est un dispositif médical essentiel pour 40 millions de Français, avec – si j’ose dire – un service médical rendu maximal ! Quand on parle d’optique, on est résolument dans le domaine de la santé. Et sans occulter la question du prix, notre enjeu collectif est de bâtir une filière de santé visuelle accessible, efficace, transparente et qualitative, pour arriver à faire face aux grands défis des années à venir : celui de l’allongement de l’espérance de vie, du vieillissement de la population, associés à l’évolution de nos modes de vie (avec, par exemple, la multiplication des écrans autour de nous). Au final, les besoins en santé visuelle vont considérablement se développer à l’avenir et nous devons collectivement nous y préparer, anticiper ces changements.
Les ophtalmologistes ont également largement mis en avant leur volonté de préserver la santé visuelle dans le récent débat autour d’une éventuelle reconnaissance du métier d’optométriste. Quelle est votre position dans ce débat ?
Du fait de son implantation mondiale, le groupe Essilor intervient dans des marchés à l’organisation des soins variable. Dans ce panorama, nous observons que là où il existe, le binôme ophtalmologiste-opticien est un binôme qui fonctionne bien. L’opticien a un rôle crucial à jouer dans la filière de la santé visuelle, un rôle de conseil de proximité qui va au-delà de la seule délivrance des produits. Mais notre conviction est aussi que l’ophtalmologiste doit rester la pierre angulaire de la filière. C’est aujourd’hui ce qui existe en France et le rôle du médecin doit être préservé.
Que pensez-vous des différents projets lancés par les pouvoirs publics pour faire baisser les prix des lunettes ?
Je le répète : la question du prix est importante même si, une fois encore, elle ne doit pas constituer le seul élément du débat. Ensuite, pour tout vous avouer, nous avons un peu l’impression que le secteur de l’optique joue le rôle du « cobaye » dans le monde de la santé. On expérimente, on défriche puis on étend… Il y a d’abord eu la loi Hamon avec l’obligation faite aux ophtalmologistes d’indiquer les écarts pupillaires sur les ordonnances. Aujourd’hui, nous voyons bien que cette mesure est difficile à mettre en place sur un plan opérationnel, notamment pour les puissances significatives. Ensuite, il y a eu la loi (du député PS Bruno Le Roux) sur les réseaux de soins. De ce point de vue, si nous sommes convaincus que les complémentaires santé ont un rôle clé à jouer dans notre filière, nous estimons aussi qu’il est nécessaire de trouver les bons points d’équilibre entre les différentes parties prenantes, y compris les ophtalmologistes. Les questions du parcours de soins et de la liberté de choix sont sur la table. Nous y travaillons et de nombreux exemples nous montrent que cette voie est possible, dans l’intérêt des patients.
Enfin, il y a le texte sur les contrats de santé « solidaires et responsables » avec cette volonté de plafonner les remboursements des assurances santé. Dans les discussions autour de ce texte, il y a eu des avancées, c’est indéniable. Nous restons toutefois perplexes quant à la mécanique mise en place. D’une part, le système repose sur une classification des verres optiques vieille de plus de 30 ans. Il ne tient pas compte des avancées majeures de ces dernières années en matière de qualité, de durabilité, mais aussi et surtout de vocation protectrice et préventive des verres. D’autre part, quand vous plafonnez, il y a toujours un risque que la qualité baisse, car l’enjeu n’est plus d’apporter la meilleure solution mais la moins chère. Nous allons avoir un gros travail à mener pour faire reconnaître la valeur thérapeutique de certains produits et agir pour que les assurances complémentaires puissent continuer à les prendre en charge.
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