LA LOI DU 28 DÉCEMBRE 1967 libéralisant la contraception féminine* a sa petite histoire, qui éclaire le pas de géant qu'elle a permis aux femmes. A la fin de mai 1944, un adolescent de 17 ans du nom de Lucien Neuwirth rejoint les Forces françaises libres à Londres. Par une belle soirée de juin, une militaire irlandaise invite Lucien à venir le voir dans sa batterie de DCA, orientée vers la cathédrale Saint-Paul, afin de protéger celle-ci d'éventuels bombardements allemands. «Allons enfants de la batterie!», chante le jeune Français en route pour Cythère. Au rendez-vous d'Aphrodite, une leçon de choses le transporte, avant même d'être amoureux, au septième ciel. Entre pouce et index, il prend un comprimé que la coquine sans uniforme lui met, à placer «là où il faut» jusqu'à effervescence du sujet de Sa Gracieuse Majesté. Ainsi, au coeur de plusieurs bouches à feu anti-aériennes, Lucien découvre qu'une pastille contraceptive produisant un vif dégagement de bulles gazeuses donne à l'amour un goût d'éternel recommencement. De retour au pays, Lucien Neuwirth ne cesse de penser à la « gynonine » – donc aux femmes – qu'il appelle la «pilule Alka-Seltzer». Ce n'est toutefois qu'en 1967 qu'il fera jouer sa batterie irlandaise dans l'enceinte du Palais-Bourbon.
De Gaulle : « Continuez Neuwirth ! ».
Député ligérien de l'Union pour la nouvelle République (UNR), «en excellente relation avec le chef de l'Etat» pour l'avoir rejoint à Londres «lors de la débâcle», Neuwirth veut donner aux Françaises le droit de maîtriser leur fécondité. Onze propositions de loi successives sur le sujet ont été repoussées en dix ans. La période semble propice. Les mouvements féministes sortent de l'ombre, même si l'air du temps est encore pesant, «plombé par les familles bien-pensantes».
Jean Foyer, garde des Sceaux, montre «une opposition déterminée» au texte de Lucien Neuwirth. «Chaban-Delmas, favorable mais prudent, prie le bon Dieu pour que ça passe.» Rien à voir cependant avec ce qu'endurera Simone Veil six ans plus tard avec son texte sur l'avortement (loi du 17 janvier 1975). Et il y a de Gaulle, qui interpelle «son» député de la Loire en ces termes : «Dites-moi Neuwirth, il faudrait que vous me parliez de votre affaire.» Lucien Neuwirth, 43 ans, n'en mène pas large. «Pendant deux nuits», il ne dort pas, passant son temps à se «demander comment présenter l'affaire». Il imagine deux scénarios. «L'un met en scène un nouveau-né non désiré qui importune la famille, l'autre, l'enfant attendu, dont on a préparé le trousseau, porteur de joie.» Neuwirth les présente au Général, qui ponctue l'exposé «d'un silence à couper au couteau». Le parlementaire n'a «pas un poil de sec». Puis le président de la République s'exclame : «C'est vrai, transmettre la vie est important. Il faut que ce soit un acte libre. Continuez Neuwirth!» Pompidou, Premier ministre, «farouchement contre», rentre alors dans le rang, comme le lui conseillait son épouse sensible aux sirènes du féminisme. Et le 28 décembre 1967, l'Assemblée nationale couronne en quelque sorte le jeune Neuwirth des années 1940 à jamais émoustillé par la « gynonine », en adoptant définitivement son texte (9 articles) sur la régulation des naissances. Le jour même, Charles de Gaulle le signe, à Colombey-les-Deux-Eglises. La loi du 31 juillet 1920, avec les articles L.648 et L.649 du code de la santé publique, est abrogée, ainsi que l'interdiction d'importer des contraceptifs de 1923. La nouvelle législation pose le principe du droit à la contraception et à l'information, tout en l'encadrant de manière rigoureuse. L'importation des contraceptifs hormonaux et intra-utérins est autorisée. Leur vente ne peut s'effectuer qu'en pharmacie, sur ordonnance, limitée quantitativement et dans le temps. Aucune délivrance n'est possible dans les établissements de consultation ou de conseil familial, et dans les centres de planification agréés. Pour les mineures, il faut le consentement écrit de l'un des parents. Toute publicité commerciale reste bannie, et il faut attendre 1973 pour voir les premières autorisations de fabrication de contraceptifs.
Quarante ans plus tard, la dimension révolutionnaire de la pilule n'échappe pas à celui qui a su faire légaliser la contraception «au bon moment», même si cela a été plus tardif qu'aux Etats-Unis (1960)** ou en Angleterre. Une grossesse sur trois est encore imprévue dans la France d'aujourd'hui (voir encadré), mais les moeurs ont changé radicalement. «Un enfant si je veux, quand je veux», scandent les femmes de la marche internationale pour l'abolition de la loi contre l'avortement du 10 novembre 1971 à Paris. Peu à peu, les méthodes contraceptives liées à l'acte sexuel, comme le préservatif, le retrait ou l'abstinence périodique, laissent place à la pilule et au stérilet. Les mentalités entrent dans un nouvel âge. La femme, mère et compagne, devient l'égale de l'homme dans le couple.
* La loi 67-1176 du 28 décembre 1967 relative à la régulation des naissances a été promulguée au « Journal officiel » du 29 décembre 1967.
** La pilule contraceptive a été mise au point en 1951 par l'Américain Gregory Pincus.
Chiffres
– En 2004, 28 % des femmes qui ont subi une IVG n'utilisaient pas de contraception, 23 % prenaient la pilule, 19 % avaient eu recours à un préservatif et 7 % avaient un stérilet.
– Parmi les utilisatrices de la pilule, 21 % l'oublient au moins une fois par mois*.
– Age moyen du premier rapport, 17,5 ans, et des mères à la naissance de leur premier enfant, 30 ans. Période entre le premier rapport sexuel et la première maternité, neuf ans et demi**.
* Bajos N, Moreau C, Léridon H et Ferrand M. Pourquoi le nombre d'avortements n'a-t-il pas baissé en France depuis trente ans ? « Population & Sociétés » 2004 : 407.
** Baromètre santé INPES 2005.
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