THEATRE
PAR ARMELLE HELIOT
On n'en finit pas de louer l'art audacieux de Fabrice Luchini. Avec ce nouvel opus, hommage à Louis Jouvet, le Patron, hommage né au cur même du théâtre qu'il dirigeait lorsqu'il mourut le 16 août 1951, il confirme sa manière qui est d'acrobate inspiré. Athlète affectif, disait Artaud lorsqu'il rêvait l'acteur idéal et l'on y pense en se laissant porter, une heure durant, par la pensée fluctuante de Jouvet telle que s'en empare Luchini en un mouvement léger et grave à la fois, abrupt et subtil, tout en voltes et contre-voltes d'une précision éblouissante.
Fabrice Luchini travaille. Fabrice Luchini ne se contente jamais d'une lecture cursive. Il pourrait s'en tenir à la lettre de textes magnifiques, fidèle en cela d'ailleurs aux leçons de Jouvet lui-même, répétant souvent que les mots sont la source première du sentiment. Mais Luchini veut toujours tout savoir, tout connaître. Et pour cette heure heureuse et déliée, il ne s'est pas simplement arrêté aux pages bouleversantes de « Ecoute mon ami » et autres textes. Il a lu ce que Jouvet lisait : Saint François de Sales comme Simone Weil, et ce substrat philosophique nourrit secrètement sa parole. Les textes sont posés sur la petite table que flanque la servante des théâtres vides. On est dans le grenier de l'Athénée, dans cette salle imaginée par Christian Bérard et qui porte désormais son nom. Proche est l'interprète qui s'expose, prend des risques, est sensible aux humeurs de l'auditoire, on le devine, mais se garde bien d'une complicité trop spectaculaire.
La question centrale est celle de Jouvet, l'art de l'acteur, cette « incompréhensible possession et dépossession de soi », Luchini l'interroge au travers des pleins et déliés de l'écriture de Jouvet, de sa pensée qui procède par avancées et reculs, comme une navette qui va et vient et tisse la toile. Fabrice Luchini, interprétant les textes de Louis Jouvet, est pris volontairement dans un vertigineux mouvement de mise en abyme. Qui parle ? Jouvet toujours. Mais, par-delà, l'acteur Luchini, traversé par cette parole et en maîtrisant chaque moirure, propose son éclairage personnel. Exercice à haut risque qui évoque le trapéziste se lançant dans le vide et dont un public ébloui suit les mouvements. Un public qui, grâce à Luchini, sa générosité fraternelle et ce quant à soi aristocratique qui appelle le respect, entend les secrets d'un art et en goûte, sans démonstration narcissique, mais dans la rigueur, l'intelligence heureuse, toutes les nuances.
Théâtre de l'Athénée, salle Christian-Bérard, à 19 h le mardi, à 20 h du mercredi au samedi, dimanche à 16 h, jusqu'au 16 février. Durée : 1 h (01.53.05.19.19). Le spectacle devrait être repris ensuite dans d'autres salles parisiennes où Louis Jouvet travailla.
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