POUR LE Pr LUC MONTAGNIER, responsable de la Fondation mondiale recherche et prévention sida (Fmrps), qu'il a créée en 1993 en coopération avec l'Unesco, afin de lutter notamment contre la maladie en Afrique, le dénouement de l'affaire des infirmières et du médecin bulgares, le 24 juillet, est «un soulagement». «Rendez-vous compte, ils étaient accusés d'un crime odieux. Personne –jusqu'au verdict du 6mai 2004 les condamnant à mort – n'avait jamais accusé des soignants d'avoir volontairement infecté des hommes, des enfants en l'occurrence, avec le VIH.»
Le dossier était pour le moins «bancal». «Je m'y suis intéressé très tôt, dès qu'on a su, en 1999 [à l'annonce de la détention des 6 praticiens, ndlr], que des centaines d'enfants avait été contaminés.» Quatre cent trente-huit soignés à l'hôpital pédiatrique de Benghazi, selon l'acte d'accusation, dont 56 sont morts. Deux médecins libyens sont venus voir le Pr Montagnier à Paris, afin de le questionner sur les causes de l'infection. Ils accompagnaient des enfants envoyés se faire traiter, aux frais de l'Etat libyen, en Italie, en Suisse, en Autriche, ainsi qu'à Paris, à Necker et à Trousseau. Dans la foulée, le codécouvreur du VIH est appelé à effectuer un séjour à Benghazi. Son collaborateur du moment, Gustavo Gonzales, de l'hôpital parisien Saint-Joseph, est avec lui. «L'hôpital pédiatrique que nous visitons, en même temps que nous sommes amenés à rencontrer des parents d'enfants, n'apparaît pas en mauvais état comme peuvent l'être les établissements hospitaliers d'Afrique noire», relève-t-il.
Infectés par la même souche du virus et coïnfectés à 50 % par le VHC.
Après cette mission qualifiée d' «informelle», Luc Montagnier qui, à l'époque, dispose toujours d'un laboratoire à Pasteur, retourne en Libye en 2003 à la demande de la fondation Khadafi, une ONG dirigée par le fils du chef de l'Etat. «La Fmrps est missionnée pour rechercher les origines de l'infection», alors que les soignants bulgares croupissent déjà en prison. «On peut parler d'une volonté de faire la lumière, de la part de Tripoli», commente le chercheur. Le Pr Vittorio Colizzi, patron de l'Institut des maladies infectieuses de Rome est de la partie. Les deux spécialistes s'emploient à «caractériser le virus –tous les enfants ont été infectés par la même souche, constatent-ils – et à définir le rôle des soignants bulgares». L'Italien montrera, en accédant à des papiers administratifs (l'hôpital n'est pas informatisé), que «les enfants entrant à l'hôpital étaient infectés avant la présence des Bulgares dans l'établissement». Le Français, pour sa part, a «pu constater qu'un sérum d'enfant, arrivé séronégatif, est devenu séropositif après l'arrestation des Bulgares». L'hypothèse d'une contamination accidentelle est soulevée, sachant que 50 % sont coïnfectés par le VHC. Une étude publiée dans « Nature » (voir ci-dessous) confirmera que le virus circulait probablement avant 1997. «Malheureusement, les tribunaux successifs ne tiendront pas compte» du travail des Prs Montagnier et Colizzi, qui déposeront à la barre le 3 septembre 2003 à la demande des avocats des bulgares en évoquant de mauvaises conditions d'hygiène. Quelque temps plus tard, la justice de Khadafi exigera une contre-expertise et le sort des accusés sera définitivement fixé : condamnation à mort, le 6 mars 2004. «Ils n'ont pas retenu l'évidence scientifique», déplore le Pr Montagnier, qui espère que l'on va «revenir à quelque chose de plus normal» au nom de la vérité scientifique.
Bien traiter les enfants contaminés.
Ce qui est arrivé à Benghazi ne constitue pas en fait une nouveauté. Le spécialiste du sida donne en exemple les enfants, plus d'une centaine, infectés accidentellement à Elista, capitale de la république de Kalmoukie, dans les années 1980. Puis la Roumanie, avant la chute de Ceausescu, avec 12 000 petits orphelins contaminés par transfusion, dont la moitié mourront. «Là encore, témoigne Luc Montagnier, qui s'est rendu à Bucarest à la fin des années 1990, des cofacteurs infectieux entraient en jeu. Aussi, il n'est pas impossible qu'à Benghazi des vecteurs du virus aient favorisé la transmission, avance-t-il. N'oublions pas que sur 10000enfants qui sont passés dans l'hôpital pédiatrique libyen entre 1997 et 1999, 4% seulement ont été contaminés.»
La page de Benghazi n'est pas refermée pour le Pr Montagnier. «Il faut assurer aux enfants touchés une bonne trithérapie, recommande-t-il. Ce qui nécessite des médecins compétents et des tests réguliers pour suivre l'évolution. A mon niveau, j'entends continuer à travailler à éradiquer fonctionnellement le VIH dans le corps. Cela signifie une vaccination thérapeutique et stimuler le système immunitaire par des antioxydants, des immunostimulants. Pourquoi ce qui est possible avec l'hépatiteB ne le serait pas avec le VIH?», interpelle le chercheur, qui n'exclut pas d'aller à nouveau en Libye «si on le lui demande».
Innocentés depuis longtemps par la science
Le 6 décembre dernier, la revue « Nature »* publiait une étude scientifique apportant une preuve directe et irréfutable de l'innocence des infirmières bulgares et du médecin palestinien : la génétique avait parlé, l'équipe de soignants étrangers ne pouvait être à l'origine de l'épidémie de sida et d'hépatite C frappant l'hôpital al-Fateh, puisque cette épidémie avait à coup sûr démarré avant leur arrivée en Libye.
Cette étude, conduite à l'université d'Oxford, en collaboration avec des scientifiques du monde entier, s'est fondée sur l'analyse du génome des virus du sida (VIH) et de l'hépatite C (VHC) présents dans l'organisme d'enfants contaminés à l'hôpital al-Fateh.
La comparaison des différentes séquences obtenues par l'équipe britannique a confirmé les résultats de deux études publiées auparavant** : si tous les enfants ont été infectés par une souche monophylétique du VIH1, au moins trois souches du virus de l'hépatite C ont été impliquées dans l'épidémie.
Les travaux britanniques ont, en outre, permis de reconstituer la généalogie des virus et de déterminer leurs origines géographiques : la souche de VIH1 et les trois groupes de VHC retrouvés chez les enfants libyens proviennent d'Afrique subsaharienne, une origine attendue, compte tenu des flux migratoires observés dans la région.
Les données moléculaires recueillies lors de cette étude ont également permis de reconstituer l'histoire évolutive des virus, pour en déduire la date approximative du début de l'épidémie à l'hôpital al-Fateh.
La probabilité que cette date soit postérieure à l'arrivée des soignants étrangers est nulle : les virus circulaient obligatoirement dans l'hôpital avant mars 1998. Les infirmières bulgares et le médecin palestinien ne peuvent en aucun cas être tenus responsables du déclenchement de l'épidémie.
* De Oliveira Th et coll., « Nature » du 6 décembre 2006, vol. 444, pp. 836-837.
** Yerly S. et coll., « J Infect Dis », 2001, vol. 184, pp. 369-372 et U. Visco-Comandini et coll., « Aids Res Hum Retrovirus », 2002, vol. 18, pp. 727-732.
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