POUR L'ANNÉE 2006, l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée (ODAS) évalue à 7/1 000 le nombre de mineurs «en risque», contre 5/1 000 en 1998. Il s'agit de jeunes dont les conditions de vie sont fragilisées par des contraintes matérielles, affectives ou morales, et l'isolement social auquel les familles se trouvent confrontées. De plus en plus de parents ont du mal à faire face. Aussi est-il apparu nécessaire au législateur de resserrer les mailles du filet de la prévention, comme en témoigne la loi du 5 mars 2007. Les 2es Assises nationales de la protection de l'enfance, qui se tiendront à Paris les 12 et 13 novembre*, en présence de 1 500 participants et de Valérie Létard, secrétaire d'Etat chargée de la Famille, seront l'occasion d'apporter un éclairage sur la nouvelle législation, actuellement à l'épreuve du terrain.
Réduire la judiciarisation.
Grâce à la nouvelle loi, la notion d'enfant «en risque» est prise en compte au même titre que la maltraitance avérée. Une articulation plus lisible s'opère entre le code de la famille et de l'aide sociale et la justice (code civil), commente pour « le Quotidien » le Dr Marie-Paule Martin-Blachais, ex-médecin de PMI, présidente de l'Association française d'information et de recherche sur l'enfance maltraitée. Le président du conseil général, confirmé dans ses fonctions de chef d'orchestre de la protection des mineurs, anime une cellule de recueil des informations préoccupantes sur l'enfance en danger, rattachée à un observatoire, auquel participent l'Ordre, chargé de produire un rapport annuel. La loi vise, dans l'esprit, à permettre aux départements de mieux s'approprier le social et, par conséquent, de mieux travailler avec les familles afin d'éviter le pourrissement de situations à risque, insiste le Dr Martin-Blachais, qui est également directrice du service enfance et famille du conseil général d'Eure-et-Loir.
Depuis vingt ans, la judiciarisation n'a cessé de gagner du terrain. En 2006, de 75 à 80 % des mesures de protection sociale étaient prises par décision de justice, alors qu'en Belgique elles relèvent pour moitié seulement de l'autorité judiciaire, ce que devrait permettre à terme la nouvelle législation française.
La prévention requalifiée.
Concrètement, la mobilisation des professionnels médico-sociaux, et des généralistes en particulier, est indispensable, par la requalification de la prévention lors de la grossesse et autour de l'accouchement. Quinze pour cent des femmes enceintes font une dépression maternelle. «Il nous appartient de rompre l'isolement», dit le médecin, qui a une formation de thérapeute familiale et un DU de psychopathologie du bébé. Dès le quatrième mois, un entretien psychosocial, assuré par une sage-femme, doit être proposé systématiquement. Puis il revient à la protection maternelle et infantile de veiller aux conditions du retour à domicile (visite postnatale, aides appropriées si nécessaire). A l'entrée en maternelle, un examen PMI des 3-4 ans – déjà opérationnel dans de nombreux départements (50 % des besoins couverts), en présence des parents dans 9 cas sur 10 – est rendu obligatoire. «Tout cela doit se conjuguer avec un dispositif de santé publique non inscrit dans la loi, celui que constituent les réseaux périnataux et les équipes psychosociales», qui se multiplient dans les maternités à l'incitation de la Haute Autorité de Santé.
Le généraliste sur le fil du rasoir.
Pour les médecins de famille – qui participent pour 2 à 3% aux signalements de l'enfance en danger –, les DDASS ne font plus partie de leurs interlocuteurs, seuls demeurent les parquets en cas de péril imminent** et les conseils généraux. Maillon d'une chaîne d'intervention pluriprofessionnelle (interinstitutions), «le généraliste est un acteur essentiel, sachant qu'il a accès au coeur et à l'intimité de la famille». «Mais sa tâche est délicate, étant à la fois le médecin de la mère, du père et des enfants, autant de membres de la cellule familiale entre qui naissent parfois des conflits d'intérêt. De fait, il se retrouve souvent sur le fil du rasoir. L'article43 du code de déontologie indiquant son rôle de défenseur de l'enfant, s'il estime l'intérêt de sa santé mal compris ou mal préservé par son entourage», semble plus facile à énoncer qu'à appliquer, concède le Dr Martin-Blachais. Lorsque la gravité du risque de maltraitance n'est pas patente, une demande d'hospitalisation, si les parents y consentent, suggère-t-elle, peut apparaître fort utile, ce qui décharge en quelque sorte le praticien de la procédure de signalement. Et, met en garde le médecin, ne laissons pas planer de confusion entre la loi sur la protection des mineurs et celle relative à la prévention de la délinquance, toutes deux du 5 mars 2007. Dans cette dernière, c'est le maire qui est aux commandes. Or, déplore-t-elle, au sein du conseil communal des familles, structure prévue par le législateur, le premier magistrat de la cité peut être conduit à traiter de la situation d'enfants en danger. «Des éclaircissements sont à apporter. Il faut savoir qui fait quoi. La protection de l'enfance, c'est la prérogative du président du conseil général et elle doit le rester, si l'on veut garantir l'équité de traitement pour tous les jeunes en risque, quel que soit le domicile des familles concernées.»
* Organisées par « le Journal de l'action sociale » (tél. 01.53.10.24.10), Cité des sciences et de l'industrie, la Villette.
*** Tout signalement à la justice doit faire l'objet d'une copie adressée au conseil général. Dans chaque département, une charte partenariale, conçue par tous les acteurs de l'enfance en danger, dont les instances ordinales, doit établir un protocole du signalement.
100 000 enfants en danger
La France compte près de 100 000 enfants en danger (2006). Un cinquième d'entre eux subissent des mauvais traitements ou sont suspectés d'en être l'objet, et les autres vivent dans un environnement familial à risque pour leur santé, leur sécurité et leur éducation. Parmi les maltraités, on dénombrait, en 2005, 5 100 victimes de privations (défauts de soins, de nourriture...), 3 800 de violences psychologiques, 6 400 d'agressions physiques et 4 700 d'atteintes sexuelles. Toujours en 2005, l'éducation constitue le motif majeur de signalement (50 %), devant les conflits de couple et de séparation (29 %), les troubles psychopathologiques des parents (14 %), la dépendance à l'alcool ou à la drogue du père et/ou de la mère (12 %) et la précarité (13 %).
Les violences intrafamiliales en progression
Malgré une majorité de divorces conclus par consentement mutuel, de plus en plus d'enfants perdent le contact avec l'un de leurs parents, souligne l'Association contre l'aliénation parentale (ACALPA, tél. 06.75.79.03.14), qui rassemble des familles, des médecins et des avocats. En cas de séparation conflictuelle, un parent peut prendre son fils ou sa fille en otage, et le soumettre à un chantage psychologique, ou à la violence physique pour l'amener à se détacher de son autre parent. «Prisonnier d'une relation d'emprise, l'enfant va tenir des propos insensés, voire même de graves accusations mensongères, en profonde discordance avec la réalité des faits, pour rejeter son autre parent avec violence jusqu'à sa destruction psychologique.» C'est le syndrome d'aliénation parentale (SAP), en passe d'être inclus dans le manuel des troubles mentaux (DSM-V) de la Société américaine de psychiatrie. Dans des situations extrêmes, l'enfant peut être séquestré, voire même assassiné, témoigne l'ACALPA, qui s'est constituée en 2005 face à «la dangereuse augmentation (15 % en un an) des délits de non-représentation d'enfants».
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