PRATIQUE
I. GENERALITES, INTERROGATOIRE ET EXAMEN CLINIQUE
• Prurit physiologique et prurit pathologique
Le prurit est une sensation particulière qui déclenche le besoin de se gratter. Il ne concerne que la peau et les demi-muqueuses et non les muqueuses et les viscères.
Il existe un prurit physiologique tel que chaque individu se gratte plusieurs fois par jours, le plus souvent inconsciemment et sans désagrément. Celui-ci se distingue en général assez facilement du prurit pathologique, susceptible d'être causé par de nombreuses maladies qui pourront ou non être accompagnées de signes dermatologiques.
Face à un patient se plaignant de prurit, les principales difficultés seront :
- lorsqu'il existe des signes cutanés, de faire la distinction entre ceux qui ne sont que la conséquence du prurit et ceux qui ont une valeur d'orientation diagnostique vers la cause de celui-ci ;
- de ne pas méconnaître une maladie dermatologique ou générale dont le prurit peut n'être que le seul symptôme au début de l'évolution.
• Les conséquences cliniques d'un prurit diffus
Elles sont d'importance proportionnelle à l'intensité et à l'ancienneté du prurit :
- les lésions de grattages : il s'agit de stries linéaires, d'excoriations ponctuelles, parfois d'un érythème ;
- les lichenifications : ce sont des zones de peau épaissie, sèche, parfois squameuse, volontiers hyperpigmentée, dont la surface est marquée par un quadrillage correspondant à une exagération du relief normal de la peau. Il ne s'agit parfois que de groupement de petites papules fermes séparées par des sillons ;
- le prurigo
Ce terme, rendu confus par son utilisation dans différentes maladies dermatologiques, correspond en fait à un tableau clinique fréquent et stéréotypé commun à tous les prurits, quelle qu'en soit l'origine, pourvu qu'ils soient chroniques : il s'agit de papules excoriées, parfois de nodules, associées à des lésions banales de grattage, réparties sur les zones accessibles du tégument ;
- autres signes cliniques dus au prurit chronique : ongles polis brillants, poils cassés et usés, présence d'adénopathies surtout axillaires et inguinales, lésions de surinfection (folliculites, impétiginisation).
• Topographie, durée, circonstances, facteurs déclenchants
Le prurit est le principal signe subjectif en dermatologie. Ses caractéristiques seront évaluées par l'interrogatoire : topographie, intensité (caractère insomniant, retentissement sur l'humeur), durée d'évolution, circonstances de survenue (voyages, prises médicamenteuses, traitements locaux, rapport avec l'activité professionnelle), facteurs déclenchants éventuels (chaud, froid, contact avec l'eau, repas), caractère collectif ou non.
La recrudescence vespérale et/ou nocturne et du déshabillage sont des circonstances déclenchantes ou aggravantes communes à la plupart des prurits.
Il devra permettre de faire la distinction entre les lésions élémentaires d'une dermatose prurigineuse dont les causes sont nombreuses, et les lésions cutanées qui ne sont que la conséquence du prurit.
II. LES CAUSES A EVOQUER EN FONCTION DU CONTEXTE
1) Prurit diffusavec lésions élémentaires orientant vers une maladie dermatologique
De très nombreuses dermatoses son prurigineuses. Les plus fréquemment responsables de prurit diffus sont l'eczéma (de contact ou atopique), l'urticaire, le lichen plan, les ectoparasitoses : gale, poux, piqûre d'insectes.
Au début de son évolution, lorsqu'il n'existe que très peu de lésions, le diagnostic de gale peut être très difficile. Il est donc justifié de l'évoquer et d'en discuter l'hypothèse systématiquement.
Cependant, le traitement d'épreuve ne doit pas être un traitement de première intention face à un prurit diffus sans cause retrouvée et sans signe patent de gale en raison de la relative lourdeur de sa mise en œuvre par le patient. Dans cette situation, il sera réservé aux cas où un traitement symptomatique simple (émollients anti-H1) s'est montré inefficace après contrôle éventuel de la négativité d'un bilan paraclinique.
2) Prurit diffus sans lésion élémentaire orientant vers une maladie dermatologique ou prurit « sine materia »
Les difficultés seront :
- de ne pas méconnaître une maladie générale parfois grave révélée par le seul prurit ;
- de dépister une maladie bulleuse en début d'évolution ;
- de designer l'éventuel médicament responsable.
Un bilan paraclinique est donc souvent nécessaire et sera adapté à chaque cas particulier.
a) Les maladies générales
- L'insuffisance rénale
L'insuffisance rénale aiguë n'est pas cause de prurit. Celui-ci est observé lors des insuffisances rénales chroniques à un stade avancé. Il s'agit presque toujours de patients hémodialysés.
Son mécanisme pathogénique est mal compris et son traitement difficile. Le meilleur traitement est la greffe rénale si elle est possible.
- Cholestase
Un prurit peut être observé dans toutes les causes de cholestases (intra- ou extra-hépatiques), qu'elles s'accompagnent ou non d'un ictère. S'il n'existe pas de lien entre l'intensité du prurit et les taux sériques d'acides biliaires, les prurits les plus intenses sont cependant observés dans les ictères obstructifs des cancers du pancréas ou des voies biliaires. Une forme particulière d'acide biliaire pourrait être en cause.
Le traitement est difficile. La levée de la rétention biliaire fait disparaître le prurit.
En dehors du drainage chirurgical nécessaire dans les causes obstructives, on utilise la cholestyramine, le phénobarbital, l'hydroxyde d'alumine, les antiacides, la rifampicine.
- Causes endocriniennes
L'hyperthyroïdie (surtout la maladie de Basedow) est une cause rare de prurit.
L'hypothyroïdie peut être cause de prurit, sans doute par le fait de la sécheresse cutanée qu'elle induit, mais une cause spécifique est discutée.
Dans l'hyperparathyroïdie, le prurit est fréquent.
Le diabète n'est pas, en lui-même, une cause de prurit.
- Causes hématologiques
Les lymphomes, surtout hodgkiniens, peuvent être révélés par un prurit dont l'intensité a une valeur pronostique. Cette hypothèse devra systématiquement être évoquée face à un prurit chronique du sujet jeune.
Dans la maladie de Vaquez, il s'agit d'un prurit déclenché par l'eau, surtout chaude, dont les crises durent de trente à soixante minutes.
D'autres hémopathies peuvent être parfois cause de prurit : mycosis fungoïde, maladie de Sezary, dysglobulinémies monoclonales malignes ou bénignes.
La carence martiale est une cause classique mais controversée de prurit.
- Causes paranéoplasiques
C'est une cause très rare de prurit qui ne justifie pas de recherches systématiques de cancer profond s'il n'existe pas de signes cliniques d'orientation.
b) Dermatoses bulleuses auto-immunes
Le prurit peut précéder de plusieurs mois les signes cutanés de la pemphigoïde bulleuse et de la dermatite herpétiforme. La positivité de la recherche d'anticorps circulants et/ou de l'immunofluorescence directe cutanée peuvent permettre le diagnostic.
c) Facteurs d'environnement et médicaments
La sécheresse cutanée est un facteur très fréquent de prurit tout particulièrement chez les sujets atopiques mais aussi chez les sujets noirs et les personnes âgées.
Le prurit aquagénique survient dans les minutes qui suivent un contact avec l'eau. C'est un prurit qui dure de quelques minutes à deux heures sans lésions cutanées visibles. Sa pathogénie est inconnue. L'adjonction de 200 mg de bicarbonate de sodium à l'eau du bain est parfois efficace.
De nombreux agents irritants peuvent être en cause : laine de verre, agents végétaux, savons et antiseptiques mal rincés...
De nombreux médicaments peuvent être en cause. Leur imputabilité sera étudiée en fonction de la chronologie d'introduction, de l'existence ou non de cas de prurit antérieurement rapportés et de leur fréquence.
d) Situations particulières
- Prurit chez une femme enceinte
Le prurit est un symptôme fréquent au cours de la grossesse.
Parmi les causes de prurit spécifiquement liés à la grossesse, il faudra distinguer le prurit de la cholestase gravidique (ou « prurit gravidique ») de celui des dermatoses spécifiques de la grossesse que sont l'herpes gestationis (ou pemphigoïde gravidique) et la dermatite polymorphe gravidique.
La cholestase gravidique survient classiquement au troisième trimestre. Le prurit, parfois sévère, s'accompagne volontiers de lésions de grattages. Il est dû à une cholestase le plus souvent anictérique. Le diagnostic sera affirmé par l'élévation des transaminases et/ou des sels biliaires totaux et par l'absence d'autre cause d'hépatopathie. L'obstétricien sera prévenu de ce diagnostic en raison d'une augmentation du risque de prématurité et du risque de morbidité périnatale. Le prurit disparaît après l'accouchement. Avant celui-ci, son traitement pourra faire appel aux antihistaminiques utilisables pendant la grossesse (hydroxyzine, dexchlorphéniramine) ou à la cholestyramine.
- Prurit idiopathique du sujet âgé : le prurit sénile
Il s'agit d'un diagnostic d'élimination qui correspond à un tableau fréquent et stéréotypé de prurit parfois intense, contrastant avec l'absence de lésions de grattage, chez une personne âgée.
La sécheresse due au vieillissement cutané ainsi que des facteurs psychologiques pourraient en être la cause.
- Infection à VIH
Le prurit est un symptôme fréquent au cours de l'affection par le VIH, évocateur d'évolution vers le SIDA. Il peut être isolé ou accompagné de lésions papuleuses peu spécifiques.
- Prurit psychogène
C'est toujours un diagnostic d'élimination à porter avec prudence. Le tableau clinique est variable : du simple prurit isolé sans lésions de grattage au prurigo excorié. Il traduit un état anxieux et/ou dépressif sur terrain psychopathologique variable.
III. TRAITEMENT DU PRURIT
Le prurit est un symptôme qui correspond à des causes et à des mécanismes variés souvent mal connus. Il n'existe donc pas de traitement général efficace quelle que soit la cause du prurit. En plus du traitement étiologique, les mesures générales suivantes peuvent être proposées :
- traitement per os par les antihistaminiques H1 qui sont les plus régulièrement efficaces, bien que souvent incomplètement. D'autres classes de médicaments peuvent parfois être utilisées : antidépresseur sédatif, benzodiazépines, neuroleptiques... ;
- traitements locaux : assurer une bonne hydratation cutanée et suppression des savons trop détergents ; bains tièdes contenant éventuellement de l'avoine (Aveenoderm), de l'amidon (100 g par baignoire) ou du son de blé (100 g) ; topiques antiprurigineux : Gel fluide de calamine, Sedagel, Sedax, Eurax ; l'application d'un dermocorticoïde de classe II pendant quelques jours est parfois efficace.
Références :
Prurit. G. Lorette, L. Vaillant. Dermatologie et maladies sexuellement transmissibles. Masson, Paris, 1999 (3e édition), pp. 905-910.
Orientation diagnostique devant un prurit. Collège des enseignants de dermato-vénéréologie de France. « Ann Dermatol venereo », l 2000 ; 127 : A12-A27.
M. W. Greaves Pathophysiology and Clinical Aspects of Pruritus, pp. 413-421 in « Dermatology in General Medicine ». Fitzpatrick T. B. and all. McGraw-Hill, inc. New York, 1993, 4th edition.
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