les recommandations (officielles ou non) pleuvent autour de Roselyne Bachelot, alors que la ministre devrait prendre enfin position dans les prochains jours sur les modalités de relance du dossier médical personnel (DMP) et, au-delà, sur la conduite du chantier des systèmes d'information de santé (« le Quotidien » du 29 mai).
Le Conseil national de l'Ordre des médecins (CNOM) vient pour sa part de publier un Livre blanc de 16 pages sur l'informatisation de la santé qui «n'est pas un rapport de plus», a affirmé son président, le Dr Michel Legmann, lors d'une conférence de presse. Le CNOM souhaite la remise en route du DMP, « grand projet national pour notre système de santé», et appelle à «remédicaliser l'ensemble du processus».
Globalement, l'Ordre «soutient les recommandations de la mission Gagneux» (groupe d'experts nommé en décembre par la ministre de la Santé et piloté par un inspecteur de l'IGAS). Dans son rapport (« le Quotidien » du 25 avril), «la mission Gagneux suggérait d'associer l'Ordre à un nouveau système de gouvernance: nous y sommes prêts», a déclaré le Dr Legmann.
Au-dessus de la mêlée syndicale.
L'association de l'Ordre des médecins à un dispositif de «gouvernance rénovée» qui constitue d'ailleurs la toute première proposition de l'institution ordinale dans son Livre blanc. Le CNOM voudrait y être «le levain de la pâte», selon l'expression du Dr Jacques Lucas, vice-président chargé de la télématique de santé. Selon l'Ordre, sa légitimité repose sur son rôle de représentation de la profession médicale, tous modes d'exercices confondus, et «au-delà des affinités particulières». En clair : au-dessus de la mêlée syndicale.
L'Ordre aspire donc à «fédérer» les médecins et à encourager de même l'union des différents projets existants de dossiers médicaux numérisés sur le territoire (suite aux expérimentations régionales de 2006). «Nous avons des villages gaulois et chacun est persuadé de représenter la vraie France!», a ironisé le Dr Lucas. Dans le même état d'esprit, il juge «très important de mettre en convergence les trois outils» que sont le DMP, le dossier pharmaceutique (dossier professionnel des pharmaciens en cours de généralisation) et le « Web médecin » de l'assurance-maladie (ou historique des remboursements utilisé par près de 20 000 médecins libéraux).
Au passage, le Dr Lucas a décoché une flèche contre ce service en ligne de la Sécu qui «plante» souvent le poste de travail et ne prévoit «ni l'accord du patient» (faute d'une information spécifique préconisée pourtant par la CNIL), «ni la traçabilité» des connexions pour les assurés. Par conséquent, «le dossier pharmaceutique, soumis aux mêmes règles que le DMP, est bien meilleur que l'historique des remboursements sur le plan du respect des libertés individuelles», a conclu le vice-président du CNOM.
Quant à l'initiative d'un «DMP pro», annoncée par la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), elle pourrait se rapprocher du concept de «dossier socle» défendu par le Livre blanc ordinal, estime le Dr Lucas. Ce dossier socle serait défini conjointement par les sociétés savantes, les collèges professionnels, la Haute Autorité de santé et les associations de patients, et permettrait un suivi médical du malade. L'Ordre est aussi favorable à un «espace structuré de dossiers communicants» où il serait possible d' «extraire une synthèse de chaque épisode de soins» à partir d'une «multitude de dossiers répartis» (dossier communicant de cancérologie ou DCC, dossiers professionnels au cabinet, en clinique…). Les autres proposi- tions du Livre blanc du CNOM portent sur la nécessité de «prévoir et de préparer les mécanismes d'accompagnement au changement», sur le développement de la messagerie professionnelle sécurisée – une «priorité» – et enfin sur les modifications à apporter à la réglementation actuelle.
Entente avec les patients.
Par ailleurs, le président de l'Ordre des médecins observe de «fortes convergences d'analyse avec les associations de patients et d'usagers», après avoir «pris connaissance» d'une note écrite du Collectif interassociatif sur la santé (CISS) qui liste ses «dix commandements» pour l'informatisation des données de santé. L'Ordre et le CISS s'accordent notamment pour réclamer une simplification de la gouvernance du chantier de l'informatisation du secteur sanitaire, avec une structure de pilotage stratégique, des effecteurs (agence qui regrouperait plusieurs GIP existants) et une autorité de régulation. Ils trouvent que la mission Gagneux ne va pas assez loin en proposant un «comité de surveillance éthique des systèmes d'information de santé». Tandis que la CNIL est débordée, le CNOM et le CISS demandent la mise en place d'une autorité indépendante propre au domaine de la santé, qui aurait «un pouvoir de vigilance et des moyens d'actions», mais aussi «un pouvoir de saisine des juridictions répressives en cas de plainte» (contre des intrusions abusives d'employeurs ou d'assureurs, par exemple). En cas de violation du secret médical et des libertés individuelles, ils veulent de lourdes sanctions pénales – ou «représailles massives»–, selon les termes du CISS, qui se réfère ainsi au rôle dissuasif de la menace nucléaire au temps de la guerre froide. Enfin, le Dr Lucas estime que la vigilance éthique devra se faire aussi au niveau «supranational» dans le but d' «encadrer strictement» les initiatives privées et transfrontières de type «Google Health» sur Internet.
Décidément sur la même longueur d'onde, CISS et CNOM vont mettre en place un groupe de travail afin de réfléchir à la problématique du masquage des données. L'Ordre et le collectif d'associations de patients et d'usagers seront-ils écoutés et surtout entendus par la ministre ? Le Dr Lucas et le président du CISS, Christian Saout, faisaient partie du cercle restreint de personnalités conviées par Roselyne Bachelot à un dîner consacré à la relance du DMP le 26 mai. C'est plutôt bon signe pour le CNOM et le CISS…
Gros nuages sur les projets britannique et belge
Il n'y a pas qu'en France que l'informatisation du système de santé est à la peine. Coup sur coup, des obstacles ont surgi ces derniers jours sur la route des projets britannique et belge.
Outre-Manche, l'énorme chantier qui doit mettre en relation 30 000 GP's et 300 hôpitaux (et permettre au passage des prises de rendez-vous en ligne, des prescriptions en ligne, ainsi que la création de 50 millions de dossiers médicaux informatisés, etc.) s'est arrêté avec la rupture du contrat qui liait le National Health Service et la société japonaise Fujitsu.
Lancée en 2002, pour un budget de 16,1 milliards d'euros (d'ores et déjà multiplié par quatre, selon la Cour des comptes britannique) – rappelons qu'en France le gouvernement chiffrait en 2004 le coût du DMP hexagonal entre 1,2 et 1,5 milliard d'euros –, l'opération avait déjà connu ce genre de mésaventure, l'Américain Accenture ayant pris ses cliques et ses claques avant Fujitsu. Depuis ses débuts, le projet de DMP britannique aurait enregistré quatre ans de retard et rien ne sera prêt avant 2014.
En Belgique, la construction de la plate-forme de santé eHealth (qui doit permettre à tous les acteurs du système de santé d'échanger des informations, notamment dans le cadre de prescriptions électroniques de médicaments, de transfert de dossiers...) suscite actuellement de fortes inquiétudes du côté des défenseurs du droit à la vie privée et du corps médical. Patients et professionnels belges redoutent que l'informatisation de leur système de soins se fassent bien plus pour des motifs budgétaires que sanitaires.
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