L'INITIATIVE EST sans précédent. Le président du Conseil national de l'Ordre des médecins (CNOM) et les responsables des quatre principaux syndicats de médecins libéraux (CSMF, SML, MG-France et FMF), assez rarement sur la même longueur d'onde, ont signé un communiqué commun (1) pour alerter le gouvernement et le Parlement sur l'urgence de «protéger le secteur de la santé des appétits des financiers».
Ce front professionnel dénonce le «diktat» de la Commission européenne «exigeant de la France qu'elle laisse des capitaux, de toute nature, prendre la maîtrise des sociétés d'exercice (SEL) constituées entre professionnels de santé libéraux». Pour ces organisations, la santé ne saurait devenir une «marchandise livrée aux spéculations financières avec processus de concentration et recherche de rentabilité immédiate», situation peu compatible, estiment-ils, avec le maintien des services de santé de proximité et de l'indépendance professionnelle.
Les laboratoires d'analyses en première ligne.
Cette offensive ordinale et syndicale intervient alors que la Commission européenne (et de grands investisseurs financiers) accentuent la pression sur les autorités françaises pour qu'elles ouvrent sans aucune limitation le capital des SEL à des capitaux non professionnels, ce que ne permet pas aujourd'hui la réglementation française. Les laboratoires d'analyses de biologie médicale seraient concernés au premier chef et toutes les professions de santé libérales sont en alerte depuis quelques mois. Au point que, mi-avril, les Ordres nationaux des médecins, des pharmaciens, des chirurgiens-dentistes, des sages-femmes, et des masseurs-kinésithérapeutes avaient déjà procédé à une mise en garde contre le projet de la Commission européenne «qui comporte les dangers les plus graves pour la santé publique». Les Ordres énuméraient plusieurs menaces : création de groupes dominants au poids démesuré, détournement d'une partie des ressources de l'assurance-maladie au profit d'investisseurs extérieurs (fonds de pension, fonds souverains…), ingérence de ces propriétaires dans l'organisation des soins, élimination des structures peu rentables (donc aggravation des inégalités d'accès aux soins) et disparition in fine de l'exercice libéral au profit du salariat.
Quant aux syndicats médicaux, ils s'exprimaient jusque-là en ordre dispersé sur le sujet ; mais ils ont jugé l'affaire suffisamment grave pour parler d'une seule voix avec l'Ordre afin de défendre la «spécificité» du secteur de la santé. Face au nouveau « forcing » de la Commission, tous soulignent que la réglementation française «n'est pas un obstacle à l'Europe de la santé» puisque les professionnels peuvent s'établir librement dans l'Union (équivalence des diplômes), participer à des actions de coopération transfrontalière et que les patients peuvent recevoir plus facilement qu'avant des soins remboursés par un système de protection sociale.
Face à l'offensive de la Commission européenne, la profession sera-t-elle entendue ? Interrogé par « le Quotidien », le Dr Michel Legmann, président du CNOM, juge la situation «très angoissante». «Sur ce sujet fondamental, j'ai rencontré tout le monde mais je n'ai à ce jour aucune assurance tangible sur les intentions du gouvernement, explique-t-il. C'est le flou total.»
(1) Signataires : les Drs Michel Legmann (CNOM), Michel Chassang (CSMF), Dinorino Cabrera (SML), Martial Olivier-Koehret (MG-France) et Jean-Claude Régi (FMF).
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