L 'OPPOSITION serait-elle à nouveau tentée, en matière de Sécurité sociale, par les sirènes du libéralisme ? Serait-elle séduite, une nouvelle fois, par les thèses sur la mise en concurrence de l'assurance-maladie ?
Sans doute la droite est-elle divisée sur ce dossier. Mais de petites phrases en avant-projets de programme, plusieurs de ses responsables remettent en première ligne les thèses sur la fin programmée et souhaitable du monopole de la Sécurité sociale. C'est Edouard Balladur qui, au début de mars, lors d'une rencontre avec des médecins, émet le vu que les caisses puissent être mises en concurrence avec des compagnies d'assurances. Ce sont les chiraquiens de l'opposition, réunis au sein d'Alternance 2002 (rebaptisée Union pour le mouvement), qui reprennent la thèse à leur compte, tout en souhaitant que la concurrence, pour le régime de base, ne se fasse qu'entre les caisses nationales actuelles. « Il faut, affirment-ils dans leur projet, permettre aux assurés sociaux de pouvoir s'affilier à la caisse nationale de leur choix ; dans le respect d'un cahier des charges fixé par l'Etat, notamment sur le panier de soins et de biens médicaux (qui devront être remboursés), dont l'accès devra être garanti à tous, ces caisses pourront offrir des services nouveaux à leurs assurés et instaurer avec les professionnels de santé des rapports réellement fondés sur une logique contractuelle. » C'est, enfin, Pierre Morange, secrétaire national du RPR à la Santé, qui aborde le sujet (« le Quotidien » du 10 avril). Le parlementaire des Yvelines va plus loin que ses amis de l'Union pour le mouvement. « L'important, déclare-t-il, c'est qu'on ait un meilleur rapport coût/efficacité. Les secteurs mutualiste et assurantiel ont tout à fait une légitimité à gérer une couverture maladie de base. Ce n'est pas choquant. Ce qui est choquant, c'est la sélection des risques. »
Déjà proposé
Ce n'est pas la première fois que l'opposition fait de l'ouverture de l'assurance-maladie à la concurrence l'un de ses chevaux de bataille. Elle avait déjà prôné une telle réforme il y a quelques années lors du retour en force des thèses libérales. Tout cela en était resté au stade des velléités. Et, ramenée à une plus saine appréciation de la réalité politique et du risque qu'il pourrait y avoir, pour elle, à défendre des thèses s'apparentant peu ou prou à une privatisation de la Sécurité sociale, la droite avait vite remis dans sa poche le drapeau du libéralisme flamboyant. Le plan Juppé de réforme de la Sécurité sociale, même s'il permettait de mener des expériences dans divers domaines, s'était bien gardé d'évoquer la mise en concurrence de l'assurance-maladie. Ses avocats le présentaient d'ailleurs volontiers comme le dernier moyen de sauver une Sécurité sociale solidaire. Et Jacques Barrot, alors ministre des Affaires sociales, avait fustigé, en 1996, les appels de Claude Bébéar, P-DG d'AXA, en faveur de l'expérimentation de « sécurités sociales privées ».
Pourquoi, dans ces conditions, relancer aujourd'hui, à un an d'élections décisives, le débat sur la mise en concurrence ? Les premiers arguments avancés sont de nécessité. « L'Europe nous pousse l'épée dans les reins, nous, Français, plus dirigistes et étatistes que les autres pour nous réformer », affirme Edouard Balladur. Thèse que partage Pierre Morange, même s'il reconnaît qu'à l'heure actuelle les seules contraintes européennes en matière de concurrence concernent la couverture maladie complémentaire et non l'assurance obligatoire de base.
Un gage de performance ?
Outre l'argument européen, certains voient dans l'ouverture à la concurrence le gage d'une meilleure gestion de l'assurance-maladie. « L'émulation peut aboutir à des performances » estime, sans préciser outre mesure, le secrétaire national à la santé du RPR. Bernard Accoyer, député RPR de Haute-Savoie et qui a été en charge de ces dossiers au RPR, se déclare, lui aussi, « à titre personnel », favorable à la mise en concurrence de l'assurance-maladie et estime qu'une telle réforme se traduirait par une « amélioration de la gestion du risque ».
Autrement dit, l'existence de plusieurs opérateurs permettrait de mener une politique de santé plus efficiente, de développer la prévention, de favoriser la mise en place d'une coordination des soins, etc.
Tous, cependant, tiennent à placer des garde-fous. Pas question, selon les partisans de la concurrence, que, pour le régime de base, les cotisations et les prestations varient d'un opérateur à l'autre. Pas question, bien évidemment, qu'il y ait une sélection des risques. Pas question non plus d'imposer à un assuré social un médecin ou un professionnel de santé « Nous sommes très attachés à la liberté de choix du patient », rappelle Pierre Morange. Assurances privées et mutuelles pourraient gérer le régime de base, au même titre que les actuelles caisses nationales d'assurance-maladie, mais toutes seraient soumises aux mêmes contraintes. Ce qui, soit dit en passant, risque de diminuer singulièrement l'intérêt d'une telle réforme pour les opérateurs privés. « C'est surtout pour le régime complémentaire que devrait jouer la concurrence, indique Bernard Accoyer. Les opérateurs pourront proposer des prestations complémentaires, négocier avec les médecins des suppléments d'honoraires. »
Ambiguïtés
Les diverses propositions des avocats de la mise en concurrence paraissent, à vrai dire, entourées d'une certaine ambiguïté. Ils sont pour la mise en concurrence, mais ne la définissent pas clairement. D'un autre côté, conscients de ce qu'une telle réforme peut avoir d'électoralement périlleux - pour ne pas dire suicidaire -, ils n'avancent qu'à pas comptés sur ce champ miné en multipliant les précautions. « Attention, pour nous, la priorité, c'est de se doter d'une vraie politique sanitaire et de respecter le principe républicain de solidarité et d'égal accès de tous à des soins de qualité : nous ne nous situons pas dans une philosophie assurantielle », prévient Pierre Morange. Et d'ajouter, pour que les choses soient claires : « Nous ne faisons pas de l'ouverture à la concurrence l'alpha et l'oméga de notre politique de santé ». Le programme de l'Union en mouvement est révélateur de ces ambiguïtés, qui se prononce pour une thèse minimaliste : celle de la mise en concurrence des caisses nationales (dont certains experts ne voient pas très bien en quoi elle pourrait améliorer l'efficacité du système actuel).
Les critiques de l'UDF
Les prises de position d'Edouard Balladur, de Pierre Morange ou d'Union pour le mouvement sont d'ailleurs loin de faire l'unanimité au sein de l'opposition. Contempteurs impitoyables des chiraquiens, les proches de François Bayrou ne mâchent pas leurs critiques. La mise en concurrence de l'assurance-maladie ne saurait entrer dans le cadre de cette « France humaine » qu'entend dessiner le leader centriste. Hervé Morin, député UDF, l'un des plus proches collaborateurs de François Bayrou, et qui ne manque jamais une occasion de dire que ce ne sont ni Jacques Barrot ni Philippe Douste-Blazy - les chiraquiens de l'UDF - qui représentent les thèses du leader François Bayrou, ne décolère pas. « Ils proposent la mise en concurrence parce qu'ils n'ont pas d'idées. L'ouverture à la concurrence, ça changerait quoi ? A vrai dire, cela n'arrangerait rien sur le fond. » Persuadé que la hausse des dépenses de santé est un bien pour le pays et n'handicape pas l'économie nationale, Hervé Morin estime, en outre, que la mise en concurrence ne permettrait pas de réguler les dépenses : « Aux Etats-Unis, ils ont cette concurrence et ça n'a pas régulé les dépenses. Est-ce que l'on veut suivre l'exemple américain ? » A l'appui de son affirmation, Hervé Morin cite aussi le cas de l'Allemagne, où le gouvernement de Gerhard Schröder a récemment suspendu la concurrence entre les caisses publiques d'assurance-maladie en raison des effets pervers constatés (« le Quotidien » du 12 avril). « Vraiment, ajoute le député UDF, si c'est cela leur projet, eh bien, ce n'est pas le nôtre. »
Mesure compromise ?
Autre proche de François Bayrou, Dominique Paillé, député et délégué général de l'UDF, est moins catégorique qu'Hervé Morin, mais il n'en partage pas moins son analyse et met sur le compte d'une « absence d'idées » des autres composantes de l'opposition la reprise des thèses sur la mise en concurrence. Tout au plus le délégué de l'UDF concède-t-il que l'on pourrait expérimenter, à l'extrême rigueur, une concurrence des caisses nationales d'assurance-maladie, « ne serait-ce que pour apporter la preuve de l'échec de cette réforme ».
Les divergences au sein de l'opposition, attisées par les écuries présidentielles, et, surtout, l'impopularité dans l'opinion d'une ouverture de l'assurance-maladie à la concurrence - fût-ce de manière expérimentale et extrêmement contrôlée - risquent fort de compromettre le sort de cette réforme. Il y a sans doute meilleur moyen pour un candidat à l'Elysée de gagner les faveurs des électeurs que d'inscrire à son programme une mesure aux allures de brûlot.
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