Par le Dr Eric Sellem*
Le dépistage du glaucome le plus fréquent en France (au moins 75 %), le « glaucome primitif à angle ouvert », est un véritable problème de santé publique qui n'a pas encore été résolu. Cette maladie extrêmement insidieuse, sournoise, évoluant sur des années, altérant progressivement le champ visuel en épargnant longtemps l'acuité visuelle, sans douleur, sans rougeur ou autre manifestation organique qui pourrait alerter, n'est encore trop souvent diagnostiquée qu'à un stade ultime, là où le médecin ne pourra qu'espérer sauvegarder le peu de vision résiduelle. Diagnostiqué et traité tôt, le glaucome a des chances de ne jamais provoquer de handicap. Bien que le rôle de l'hypertension intraoculaire soit régulièrement contesté dans cette maladie, il s'agit d'un facteur de risque majeur qu'il convient de repérer. Idéalement, tous les sujets adultes devraient être régulièrement examinés (au moins tous les trois ans) par un ophtalmologiste, non seulement pour évaluer la qualité de leur fonction visuelle, mais aussi pour que soit mesurée leur pression intraoculaire (PIO). La survenue de la presbytie, après 40 ans, amène heureusement chez le spécialiste un contingent important de sujets qui pourront être ainsi dépistés.
L'hyperpression intraoculaire et le glaucome primitif à angle ouvert
Un des problèmes majeurs qui se posent à l'ophtalmologiste est celui de la conduite à tenir chez un patient qui présente une hypertension intraoculaire, alors que les examens courants (champ visuel, observation de la papille) ne détectent aucune détérioration flagrante de la tête du nerf optique. Mais avant d'affirmer que le globe oculaire est réellement hypertendu, l'ophtalmologiste aura pris soin de mesurer l'épaisseur cornéenne par pachymétrie (cornée épaisse = surévaluation de la PIO réelle), pour vérifier la réalité de cette hyperpression intraoculaire (HPO). A l'opposé, la pachymétrie peut remettre en question, lorsque la cornée est mince, un certain nombre de glaucomes jusque-là considérés « à pression normale ».
Pour revenir à l'HPO, le médecin doit-il ou non traiter ces globes oculaires ou se contenter d'une simple surveillance annuelle ? Une récente étude prospective américaine (OHTS) a confirmé le rôle prophylactique de l'abaissement pressionnel dans la survenue d'un glaucome, bien que la conversion de l'HPO au glaucome reste statistiquement faible. Ces dernières années ont vu l'émergence de très nombreux instruments permettant de repérer les premières atteintes de la maladie qui conduiront à l'altération progressive du champ de vision et infine à la cécité : programmes de champ visuel très sophistiqués (FDT, périmétrie bleu-jaune), photographie des fibres optiques, analyseurs équipés de système de balayage et d'analyse des résultats (HRT 2, GDx, OCT3), enregistrements électrophysiologiques... Ces instruments sont parfois très coûteux (certains dépassent 75 000 euros) pour une prise en charge à l'acte misérable, nécessitent l'installation de nouvelles pièces d'examen et sont consommateurs de temps. Il est donc légitime d'imaginer les scrupules de l'ophtalmologiste à ne pas faire l'acquisition de tels matériels, d'autant que la pression de certains laboratoires, alliée à l'abondance des publications sur le sujet, devient extrêmement forte.
Les bonnes pratiques cliniques et thérapeutiques
En réalité, le sens clinique, ou simplement le bon sens, permet de régler l'immense majorité des problèmes : tenir compte des facteurs de risque autre que la pression oculaire (antécédents familiaux, âge, état vasculaire général, pathologie oculaire associée, etc.), examiner attentivement la tête du nerf optique, profiter de la qualité des programmes offerts par les périmètres actuels et ne pas hésiter à faire revenir le patient en cas de doute. Le dépistage génétique du glaucome fut un espoir, mais trop de gènes ont été incriminés chez, finalement, un faible contingent de sujets, pour qu'un dépistage généralisé puisse voir le jour avant longtemps. L'arsenal des collyres hypotenseurs oculaires s'est considérablement enrichi ces dernières années de molécules mieux tolérées, moins souvent instillées, parfois très efficaces sur l'abaissement pressionnel, et dont les effets secondaires sont mieux acceptés : prostaglandines, inhibiteurs locaux de l'anhydrase carbonique et alpha 2-agonistes. Le rôle délétère des conservateurs est évident, et il faut regretter que seuls les collyres bêtabloquants soient disponibles dans des formes galéniques libres de ces conservateurs. Les combinaisons fixes récemment disponibles (timolol-pilocarpine, timolol-dorzolamide, timolol-latanoprost) simplifient les contraintes dues aux instillations et participent à l'amélioration de la qualité de vie du patient. La trabéculoplastie permet souvent, durant quelques années, d'alléger le traitement médical, surtout chez les personnes âgées, et permet en particulier d'attendre le moment de la phako-extraction à laquelle une chirurgie filtrante pourra être associée. Lorsque le glaucome doit finalement être opéré, et que les conditions anatomiques s'y prêtent, la réalisation d'une sclérectomie profonde non perforante offre au patient des suites beaucoup plus calmes que la classique trabéculectomie.
Le glaucome à angle étroit : une prise en charge plus aisée
La réalisation de l'iridotomie au laser, intervention simple et anodine, a singulièrement simplifié l'approche des formes à angle irido-cornéen étroit. Les tests de provocation, autrefois proposés, ne sont plus d'actualité : fastidieux, longs, peu fiables et parfois dangereux, ils ont été remplacés par l'observation gonioscopique minutieuse associée au signe de Van Herrick (projection de la fente lumineuse à la périphérie de la chambre antérieure, pour y évaluer la distance cornée-iris), éventuellement complétée par les données biométriques et ultrasoniques (UBM). Au moindre doute, il est plus facile de proposer au patient suspect une transfixion irienne par un moyen physique qu'une chirurgie éventuellement dangereuse (glaucome malin) et à la logistique plus lourde et plus coûteuse.
Antimitotiques et laser diode : une meilleure gestion des glaucomes réfractaires
Les formes réfractaires, multiopérées, concernent le plus souvent les glaucomes congénitaux ou secondaires : glaucomes traumatiques, de l'aphake, inflammatoires, néovasculaires, etc. L'emploi prudent et calculé des antimitotiques (mitomycine, 5 fluoro-uracile) a augmenté les chances de succès de la chirurgie dans ces formes, sans régler tous les problèmes. Le cyclo-affaiblissement trans-scléral au laser diode permet de sauver un certain nombre de globes très délabrés, et il peut être éventuellement répété. L'utilisation de drains, de valves, d'implants conduisant l'humeur aqueuse sous la conjonctive est, en revanche, souvent décevante.
Traiter le glaucome, mais surtout le dépister !
Incontestablement, être glaucomateux en 2003 est plus confortable que lors des trois dernières décennies ! Pour l'ophtalmologiste, l'élargissement considérable des moyens diagnostiques et thérapeutiques le libère de dilemmes parfois angoissants concernant la mise en uvre éventuelle d'un traitement, sa tolérance et son observance, et l'appréciation de l'évolution du glaucome. Malgré cela, des milliers de glaucomateux, parfois à un stade très évolué de la maladie, ne sont toujours pas diagnostiqués. Pour les années à venir, l'un de nos défis (auquel les pouvoirs publics doivent s'associer) sera de les repérer le plus tôt possible, afin de leur préserver une vision non handicapante tout au long de la vie.
* Centre ophtalmologique Kléber, Lyon.
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