Une « conspiration du silence ». Selon les auteurs d'une mission d'évaluation diligentée par le HCR et l'ONG britannique Save the Children, du 22 octobre au 30 novembre, dans les camps de réfugiés de Guinée, du Liberia et de Sierra Leone, cette conspiration était entretenue par certains travailleurs humanitaires eux-mêmes, tandis que les réfugiés, fragilisés, n'osaient rien dire, de peur d'être privés d'aide et de subir des représailles.
La mission a quand même pu recueillir en cinq semaines 1 500 témoignages d'enfants et d'adultes. Les enfants interrogés ont tous dit connaître au moins un enfant victime d'abus. Eux-mêmes avouent qu'il s'agit de la seule possibilité d'obtenir de la nourriture, des produits de première nécessité ou d'accéder à l'éducation ou à un emploi dans les camps.
« C'est difficile d'échapper au piège de ces gens (des ONG) : il se servent de la nourriture comme appât pour vous obliger à avoir des relations sexuelles avec eux », déclare une adolescente au Liberia.
Une autre femme, également réfugiée au Liberia, affirme qu'« ici personne ne peut obtenir du CSB (une ration nutritionnelle) sans sexe d'abord. Ils disent "un kilo contre du sexe" ».
« Si vous voyez une jeune fille marcher avec une bâche sur la tête, vous savez comment elle l'a obtenue », raconte encore un réfugié, responsable d'un camp en Guinée.
Selon le porte-parole du HCR à Genève, Ron Redmond, « la vaste majorité des auteurs présumés sont apparemment des personnels locaux des différentes agences et d'ONG. Mais, ajoute-t-il, dans un souci de transparence, nous estimons que nous sommes les premiers responsables de la protection des réfugiés dans les camps. Aussi, nous reconnaissons que nous avons une part de responsabilité dans ces faits ».
Les noms de 67 personnes soupçonnées d'avoir eu recours à ces pratiques ont été évoqués dans ces témoignages. Elles appartiennent à une quarantaine d'organisations parmi lesquelles des agences de l'ONU, dont des membres de la force de maintien de la paix en Sierra Leone (MINUSIL), des organisations non gouvernementales locales et internationales et des agences gouvernementales. Aucun nom n'est publié, afin de ne pas mettre en danger les victimes.
« Evidemment, nous sommes très profondément dérangés par ce genre d'allégations qui exigent qu'on les prenne très au sérieux », a encore commenté M. Redmond.
Joignant le geste à la parole, le HCR a décidé d'ouvrir une enquête préliminaire en envoyant sur place une nouvelle équipe composée d'enquêteurs spéciaux en provenance de New York, de membres de l'inspection générale du HCR et d'un expert extérieur. Dans le même temps, un plan d'action d'urgence vient d'être ordonné pour renforcer la protection des femmes et des enfants réfugiés. Parmi les mesures décidées, le déploiement d'un plus grand nombre de personnels féminins dans les camps, un meilleur accès des réfugiés aux structures juridiques, ainsi qu'un mécanisme permettant de porter plainte auprès des dirigeants du HCR.
MSF : d'abord penser aux victimes
« Cette affaire peut porter préjudice aux humanitaires, mais c'est d'abord aux victimes qu'il faut penser », déclare au « Quotidien » le Dr Karim Laouabdia, directeur général de MSF, qui n'est pas surpris par le rapport : « On dénombre cinquante millions de réfugiés de par le monde. Ces populations recréent des villes entières où s'exerce le droit du plus fort sur des hommes, des femmes et des enfants placés en situation d'extrême précarité. Les viols y sont monnaie courante, comme cela a été rapporté au Kenya, au début des années 1990 ou, plus récemment, dans les camps kosovar de Macédoine.
L'enquête du HCR présente le mérite de placer chacun en face de ses responsabilités : le HCR lui-même, les ONG et les humanitaires et les responsables politiques. Il s'agit maintenant d'étudier la question du fondement même de l'assistance et de la protection des personnes réfugiées. En particulier, tant que celles-ci ne bénéficieront pas d'un enregistrement avec leur état civil, elles resteront exposées à n'importe quel type de violence, notamment sexuelle. »
Le Dr Laouabdia a été informé par le HCR que son organisation, qui réalise actuellement des programmes au Liberia, en Guinée et en Sierra Leone, est au nombre des quelque 40 ONG dont des employés auraient été mis en cause par des réfugiés. « Nous attendons de connaître les noms des lieux et des personnes, ainsi que les circonstances précises des faits pour enquêter et prendre toutes les sanctions prévues par la loi. »
Le directeur général de MSF se refuse à faire le distinguo entre les collaborateurs internationaux et les personnels locaux, les uns et les autres faisant l'objet de sélections attentives, même si, reconnaît-il, « dans l'urgence, à Paris comme sur le terrain, on n'a pas toujours le choix et le temps nécessaire pour examiner les motivations profondes des candidats ».
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