L'EXPLOSION de l'usine AZF à Toulouse, le 21 septembre 2001, a fait 30 morts et détruit ou fortement endommagé près de 30 000 habitations. Mais, trois ans après le drame, les épidémiologistes poursuivent leurs études pour évaluer et compléter le bilan selon diverses enquêtes menées à grande échelle. « L'ensemble de ces travaux, écrit le Pr Thierry Lang (CHU de Toulouse, Institut de veille sanitaire) dans le « Bulletin épidémiologique hebdomadaire » (n° 38-39/2004), témoigne que l'impact sur la santé d'une telle explosion est certes direct et immédiat, mais aussi prolongé par les perturbations sociales et économiques profondes qu'entraîne à long terme une telle catastrophe. » AZF retentit encore dans la population toulousaine.
Effets irritatifs respiratoires et oculaires.
C'est au chapitre des conséquences sanitaires des expositions aux pollutions environnementales que les données ont pu être réunies au plus vite. Pour chacun des polluants pour lesquels on disposait de mesures environnementales (chlore, acide nitrique, protoxyde d'azote), seuls des effets irritatifs respiratoires et oculaires étaient attendus. Les données recueillies (centre antipoison, assurance-maladie et médecins sentinelles) pour les trachéo-bronchites, conjonctivites et troubles de la vision sont en faveur d'un lien avec l'explosion : pic dans les jours suivant le 21 septembre, puis diminution rapide. Aucun lien, en revanche, n'a pu être établi entre la catastrophe et les épisodes d'asthme et de bronchiolites observés par la suite.
Quant à l'impact de cet accident industriel majeur sur la vie personnelle, familiale et professionnelle, il a fait l'objet d'une enquête transversale conduite de janvier à avril 2003 auprès de deux échantillons, l'un en zone proche (P) de l'explosion, l'autre en zone éloignée (E). 9,5 % des personnes en zone P ont déclaré avoir été blessées au moment de l'explosion, 12 % de ces personnes en zone P, contre 1 % en zone E, se plaignant d'une séquelle ou d'un trouble qui résulte de la catastrophe : séquelle auditive (6,7 %), esthétique (1,5 %), gêne pour la marche (1 %).
En zone P, toujours, 13,1 % des hommes (4,3 % en zone E) et 29,5 % des femmes (8,2 % en zone E) déclarent avoir pris des médicaments psychotropes (pour aider à dormir, calmer des angoisses ou soigner une dépression) du fait de l'explosion. Dix-huit mois après, pas moins de 14 000 personnes étaient toujours sous traitement.
La prévalence des syndromes post-traumatiques (SPT) et la consommation médicamenteuse élevée en zone P témoignent du retentissement de l'événement sur la santé mentale. Des retentissements qui semblent avoir été d'autant plus importants que, l'étude le confirme, les quartiers proches du site de l'explosion cumulaient un ensemble de caractéristiques socio-économiques défavorables, comme c'est fréquemment observé lors des accidents industriels. Il reste d'ailleurs à préciser les parts respectives de l'impact immédiat de l'explosion sur la santé mentale et des autres facteurs de vulnérabilité sociale.
Deux enquêtes chez les élèves toulousains.
Les épidémiologistes se sont naturellement préoccupés aussi de la santé mentale des élèves toulousains : une centaine d'établissements ont été touchés par l'événement, cinq d'entre eux ayant même été entièrement détruits. Deux enquêtes transversales (autoquestionnaire rempli en présence d'un professionnel extérieur à l'école) ont été menées auprès de ces jeunes directement exposés, l'une neuf mois après le 21 septembre, la seconde, seize mois plus tard. Dans les deux cas, la proportion d'enfants blessés atteint le score élevé de 20 %. Dans l'enquête à neuf mois, la proportion de syndrome post-traumatique (SPT) attribuable à AZF est de 50 % chez les enfants de 11-13 ans en zone proche, elle descend à 37 % dans l'enquête à 16 mois. La prévalence des symptômes dépressifs est plus élevée en zone proche qu'en zone éloignée, mais non significativement. Elle est plus élevée chez les filles (23,6 %) que chez les garçons (15,7 %).
Ce travail souligne l'impact durable d'une catastrophe industrielle sur la santé mentale des enfants. Selon Anne Guinard (cellule interrégionale d'épidémiologie Midi-Pyrénées), il concorde avec les études conduites auprès des enfants qui ont survécu à un naufrage : 50 % de ces rescapés présentent des symptômes de stress post-traumatique moins d'un an après la catastrophe. En extrapolant aux enfants de 11-13 ans de la zone proche la proportion de ces SPT, on peut estimer à près de quatre cents le nombre des enfants présentant des symptômes neuf mois après les événements, et à près de deux cents ceux qui en souffrent seize mois plus tard.
A ces troubles bien connus s'ajoute un autre indicateur d'impact, le changement de comportement de l'enfant. Il semble nécessaire de le surveiller encore sur une période longue.
Enquête chez les sauveteurs et les travailleurs.
Les sauveteurs intervenus lors de la catastrophe et les travailleurs de l'agglomération toulousaine font l'objet d'un dernier programme, avec une enquête transversale réalisée un an après l'explosion et l'examen à moyen terme (cinq ans à partir de mai 2003) d'une cohorte de quelque cinq mille volontaires. La prévalence du SPT (12 % chez les hommes et 18 % chez les femmes) est très supérieure à la fréquence de ce syndrome dans la population générale européenne (1 % chez les hommes et 3 % chez les femmes). Cette prévalence est nettement moins élevée chez les sauveteurs que chez les travailleurs (5 % chez les hommes et 6 % chez les femmes). Des différences qui sont probablement dues au fait que les sauveteurs semblent mieux préparés à vivre les situations de catastrophe. Néanmoins, note le Dr Eloi Diène (Institut de veille sanitaire), « la fréquence du SPT chez les sauveteurs n'est pas négligeable et mérite une attention particulière ».
Ces enquêtes restent préliminaires. Elles devront être poursuivies pour mettre en évidence tous les liens entre les conséquences physiques immédiates, les facteurs socioprofessionnels et le SPT, ainsi que leur interaction avec d'autres facteurs de vulnérabilité.
Tous ces programmes épidémiologiques se poursuivent donc, souligne le Pr Lang : dix mille Toulousains ont ainsi donné leur accord pour que les résultats de l'enquête transversale menée chez les salariés soient mis en rapport avec les certificats de décès.
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