Le ministre de la Santé a annoncé la couleur dans la dernière loi de financement de la Sécurité sociale. A peu près vide de sens sanitaire et systématiquement dépassé depuis 1998, pour ces raisons très critiqué, y compris dans les rangs de la majorité, l'objectif national des dépenses d'assurance-maladie (ONDAM), que vote chaque année le Parlement, doit évoluer.
La loi propose de « redonner sa crédibilité » à l'instrument économique qu'est l'ONDAM en le médicalisant, c'est-à-dire en le basant sur l'analyse de l'évolution de l'activité des soins et des besoins. A l'automne, Alain Coulomb, directeur de l'ANAES (Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé), a été chargé de plancher sur le sujet. Il remet aujourd'hui à Jean-François Mattei le résultat de ses travaux.
Une architecture chamboulée
De ce « rapport Coulomb », peu d'informations ont filtré. On sait néanmoins qu'il revoit de fond en comble l'architecture inventée en 1996 pour encadrer la progression des dépenses d'assurance-maladie. Un dispositif économiquement efficace lors de sa première année de fonctionnement, en 1997, et puis plus du tout (voir tableau), les choses se détériorant même rapidement exercice après exercice (voir diagramme). En 1998, on dépense 1,5 milliard d'euros de plus que prévu, 1,6 milliard en 1999. La barre des 2 milliards de dépassement est franchie en 2000. Celle des 3 milliards, en 2002. Les taux d'évolution fixés par l'ONDAM ont beau ouvrir toujours plus grand le portefeuille de l'Etat (1,7 % de taux de croissance des dépenses d'assurance-maladie en 1997... 4 % en 2002), le système n'en peut mais, les dérapages galopent.
Comment l'ONDAM fonctionne-t-il aujourd'hui ? Rappelons d'abord que, ironie du sort, quand Alain Juppé, Premier ministre, l'a institué et ancré dans une toute neuve loi de financement de la Sécurité sociale, soumise chaque automne au vote de la représentation nationale, c'était dans le but de mettre en uvre une « maîtrise médicalisée des dépenses de soins ». L'ONDAM, calculé sur la base des travaux de la Conférence nationale de santé (qui recense en particulier les besoins de la population) et à partir des évolutions de dépenses de l'année précédente - depuis 2000 sur la foi de l'estimation faite par la Commission des comptes de la Sécurité sociale des dépenses effectivement réalisées -, concerne les dépenses de l'ensemble des régimes de base. Une fois voté par le Parlement, l'Objectif est, dans les quinze jours suivant la publication de la loi, décomposé librement par le gouvernement entre les soins de ville, les établissements sanitaires, les cliniques privées, les établissements médico-sociaux.
Les instruments manquants qui permettraient de décortiquer finement la dépense de santé - c'est seulement l'an dernier que le CREDES s'est intéressé au coût des pathologies pour faire ses « comptes de la Santé » -, tout cela se fait - et risque de continuer de se faire, quoi que suggère Alain Coulomb - un peu à la louche, la Cour des comptes le regrettait l'automne dernier (voir encadré).
Une mission « impossible »
Quand on parle de médicaliser l'ONDAM, explique l'économiste Jean de Kervasdoué, « le modèle implicite est qu'il existerait une fonction de production qui permettrait de passer par une série d'étapes successives des états pathologiques de la population à une définition du " bon niveau " des dépenses de santé. Cela n'est ni théoriquement, ni empiriquement possible, non seulement par manque d'informations qui ne sont pas près d'être collectées, mais aussi pour des raisons théoriques et philosophiques ».
Autre expert, analyse très proche : Elias Coca ne voit pas trente-six solutions au problème de la médicalisation de l'ONDAM. Selon lui, « on peut suivre deux logiques. La première est, pour faire simple, " socialiste ". Elle définit a priori , selon des déterminants politiques et macroéconomiques, une enveloppe fermée et utilise ensuite des critères médicalisés pour la répartir au mieux. La seconde logique part de la somme des besoins médicaux et en déduit l'enveloppe, par " agrafage ". Je la qualifierai de " poujadiste ". C'est une illusion, une mystification. Reste un moyen terme, de type " libéral ", qui consiste à insérer entre ces deux options la définition du panier de soins : on part d'une description exhaustive du besoin de soins, on regarde l'enveloppe et on en déduit la marge d'intervention du gouvernement (et donc, éventuellement, une baisse des niveaux de remboursement). C'est un peu la solution que prônent les syndicats de médecins libéraux ».
Est-ce celle que défendra aujourd'hui Alain Coulomb devant le ministre de la Santé ? Un petit peu, si l'on en croit certaines indiscrétions. Son rapport, le magazine « Espace social » le dévoilait il y a quelques semaines, scinderait en deux l'enveloppe de l'ONDAM. Une première cagnotte prendrait acte de la progression mécanique des dépenses d'assurance-maladie, liée à la croissance économique, au vieillissement de la population, aux progrès techniques, aux objectifs fixés de santé publique... La seconde provision financerait des actions de responsabilisation de tous les acteurs du système. Des contrats de maîtrise médicalisée pourraient être en particulier passés avec les médecins. L'opposabilité de l'ONDAM, à l'uvre lors de sa création (les médecins s'en souviennent !), repointerait-elle son nez ? Pas vraiment, car pour encourager la rationalisation des soins, Alain Coulomb serait bien plus partisan de la carotte que du bâton.
Le sévère constat de la Cour des comptes
Le dernier rapport annuel de la Cour des comptes sur la Sécurité sociale (septembre 2002) ne fut pas tendre pour l'ONDAM, dont le principe même était ouvertement contesté.
« La sous-évaluation rémanente de l'objectif, son dépassement répété, la fragilisation de la plupart des modes de régulation, risquent, s'ils se prolongeaient, de mettre en cause la notion même d'objectif », soulignait la Cour, qui venait de constater un dérapage « historique » en 2001 (2,8 milliards d'euros). La Cour relevait « la contradiction de plus en plus forte entre le volontarisme dans la fixation des objectifs et l'incapacité à mettre en uvre des dispositifs de régulation dans le domaine des soins de ville comme dans celui des dépenses hospitalières ».
Pour 2002, le rapport de la Cour des comptes n'était guère plus optimiste, estimant que l'objectif arrêté, bien que plus élevé (4 %), posait un « problème de vraisemblance ». Surtout que, début 2002, prenaient effet diverses revalorisations tarifaires (actes de kinésithérapie, actes AMI pour les soins infirmiers), tandis qu'étaient décidées de nouvelles mesures en faveur des généralistes, dont la hausse du C à 18,50 euros au 1er février. Autre reproche que faisait la Cour à l'ONDAM : l'élaboration et le suivi de l'enveloppe médico-sociale « présentent de nombreuses faiblesses », et l'objectif fixé n'a donc « qu'une portée limitée ». Ainsi, les prévisions de dépenses pour la sous-enveloppe « personnes handicapées » étaient, selon la Cour, peu fiables, faute d'outils adaptés. Quant au budget personnes âgées dépendantes, les conditions d'un suivi cohérent n'étaient pas réunies .
Dans sa courte réponse, Jean-François Mattei partageait le constat général de la Cour et énonçait ses objectifs : un ONDAM « réaliste », tenant compte des « éléments médicaux d'évolution des dépenses », condition d'une régulation qui « doit proscrire les dispositifs de maîtrise comptable ». Le tout devant restaurer une « relation de confiance » avec les professionnels de santé.
C. D.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature