Un entretien avec le Pr Dominique Stoppa-Lyonnet*
Si près de 25 prédispositions génétiques de risque tumoral ont pu être identifiées à ce jour, force est de reconnaître qu'il s'agit pour l'instant des cas les plus « simples », où la prédisposition correspond à un mode de transmission monogénique dominant, dans le cadre de formes familiales sévères de cancers fréquents ou de formes familiales de cancers rares, ou encore d'affections précancéreuses. Il reste encore toute la partie immergée de l'iceberg caractérisée par des risques plus nuancés et surtout des situations multigéniques comme c'est le cas pour le cancer de la prostate. L'oncogénétique a cependant déjà beaucoup avancé sur le chemin de la connaissance, grâce, notamment, aux études familiales qui ont largement contribué à la mise en évidence des facteurs génétiques en cause. Cela a été le cas pour une tumeur rare, le rétinoblastome, où les enquêtes familiales ont permis d'identifier le premier facteur génétique associé à un risque tumoral (gène RB1), mais aussi pour des cancers plus fréquents comme ceux du sein et du côlon. Dans ces derniers cas, l'exploration de l'histoire familiale doit toutefois tenir compte de la possibilité de survenue de plusieurs tumeurs par le fait du hasard et non par déterminisme génétique.
Quoi qu'il en soit, l'épidémiologie génétique a eu le mérite de pointer l'extrême variabilité des risques d'une situation de prédisposition à l'autre. Ainsi, le syndrome HNPCC (hereditary non polyposis colorectal cancer) s'associe à un risque de cancer colique très élevé, de l'ordre de 50 à 60 % chez la femme, mais inférieur à celui de la polypose adénomateuse, qui frôle les 100 %. De plus, au sein d'une même pathologie, il existe souvent une hétérogénéité du risque faisant évoquer l'implication de certains facteurs de modification, génétiques ou non. Ces observations ont de ce fait conduit à une individualisation des attitudes, prédisposition par prédisposition. Ce n'est qu'à ce prix qu'une amélioration de la prise en charge a pu voir le jour dans certaines néoplasies. Ainsi, la mutation du gène RET, constatée dans les néoplasies endocriniennes multiples de type 2, est maintenant recherchée systématiquement devant tout cancer médullaire de la thyroïde, sa présence étant associée à un risque tumoral proche de 90 %. Autre exemple, celui de la polypose adénomateuse familiale, où la découverte du non-portage du gène permet de lever la nécessité d'une coloscopie annuelle. Il existe en revanche des situations où la conduite à tenir demeure toujours difficile, comme le syndrome de Li et Fraumeni, caractérisé par une mutation constitutionnelle du gène TP53 et, et de ce fait, un risque de tumeurs multiples (sarcomes, cancer du sein, hémopathies, etc.), encore que l'identification du risque ait au moins l'avantage d'offrir la possibilité d'un dépistage prénatal. L'enchevêtrement des problèmes techniques, de difficultés de prise en charge et d'aspects éthiques est particulièrement illustré par le cancer du sein, où la décision d'une recherche de prédisposition génétique est grevée de conséquences pratiques lourdes (suivi régulier en milieu spécialisé, mammectomie prophylactique). C'est d'ailleurs pour cette raison qu'une des volontés du ministère est de limiter les dépistages génétiques « sauvages » et d'imposer une consultation génétique préalable. Là encore, la mise en place de réseaux comme celui du groupe Génétique et Cancer mais aussi des réseaux consultations-laboratoires apporte une aide précieuse en permettant de faire circuler plus facilement les informations sur les cas index, et, par là, de mieux prendre en charge les cas apparentés. Ce travail est d'ailleurs renforcé par l'établissement de liens étroits avec les associations de malades concernées.
Si l'étude des prédispositions génétiques promet vraisemblablement une amélioration des prises en charge des tumeurs, cette perspective apparaît donc encore difficile d'accès. Mais tous les espoirs restent permis, d'autant que les progrès techniques, qu'il s'agisse de l'amélioration des logiciels raccourcissant les temps de séquençage ou les automatisations (PCR, DHPLC), ont déjà permis, ces trois dernières années, d'augmenter considérablement les capacités d' analyse.
* Institut Curie, Paris.
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