Le Généraliste. Pourquoi briguer la présidence de l’OMS ?
Philippe Douste-Blazy. Tous les êtres humains devraient être égaux devant la santé. Or, aujourd’hui, des centaines de millions de personnes n’ont pas le droit à des médicaments ou des vaccins essentiels, c’est la pire des injustices. Je crois plus que jamais à la nécessité, pour les États, de disposer d’une institution forte et respectée pour défendre les plus essentiels des droits humains : la santé et la sécurité sanitaire. On a besoin d’un leadership politique fort à la tête de l’OMS qui doit être centrale dans la politique de santé mondiale.
Lors de l’épidémie d’Ebola, l’OMS a été vivement critiquée : faut-il la réformer et comment ?
P. D.-B. L’OMS a été critiquée pour Ebola mais plutôt saluée pour la crise d’épidémie Zika. Or le dénominateur commun aux trois pays les plus touchés par Ebola est l’absence de système de santé de base. Cela souligne l'importance, pour l’OMS, de faire respecter le règlement sanitaire mondial et d'aider à mettre en place des systèmes de santé de base dans tous les pays. Faire des fonds verticaux (pour lutter contre le Sida, le paludisme…), c’est très bien, ils ont des performances remarquables mais ce n’est pas suffisant. Il faut mettre en place une couverture universelle en santé parce qu’en santé publique, les plus pauvres sont les plus vulnérables et les premières victimes des pandémies. Développer une couverture universelle en santé est indispensable à un développement durable et l’OMS doit aider les États à garantir, sans discrimination, l’accès des plus pauvres aux services de santé de base.
Comment financer cette couverture ?
P. D.-B. Le déploiement d’une couverture universelle doit s’accompagner d’un financement durable et solidaire de la santé. Et le système doit permettre de solvabiliser la demande de soins. La santé doit être considérée comme un bien public mondial et il ne faut pas tout attendre du privé. Mais si nous voulons atteindre une couverture universelle, il est essentiel de former suffisamment de professionnels en santé comme de personnels médico-sociaux et de les maintenir dans leur pays d'origine. En 2015, on a estimé que la densité minimale de professionnels de santé pour atteindre la couverture universelle devait être de 4,45 professionnels pour 1 000 habitants. Cela veut dire qu'au niveau mondial, il manque 17 millions de personnels de santé d’ici à 2030!
Serait-il envisageable d’étendre la logique d’Unitaid pour financer une telle couverture ?
P. D.-B. Les financements innovants sont une des clés du futur budget de l’OMS. On voit bien, aujourd’hui, qu’il y a un écart de plus en plus important entre les pays riches et les pays pauvres. Dans le même temps, on constate de plus en plus d'égoïsmes nationaux associés à des diminutions des aides publiques au développement. Il faut bien trouver une solution pour faire face à cet effet ciseau. Une des solutions consiste à mettre en place des financements innovants, ce que nous avons fait avec Unitaid qui a, par exemple, permis de soigner, entre 2008 et 2011, 8 enfants sur 10 traités contre le Sida dans le monde en prélevant un petit euro par billet d'avion dans une douzaine de pays. Nous avons prouvé que les financements innovants marchaient; il faut maintenant en trouver d’autres...
Il faut également inventer de nouvelles façons de dépenser, comme les communautés de brevets. Aujourd’hui, quand un nouveau médicament arrive sur le marché occidental, c’est le plus récent, le plus efficace mais aussi le plus cher. Il faut attendre entre 15 et 20 ans pour qu’il tombe dans le domaine public et bénéficie aux gens les plus pauvres. Je suis fier de vous dire qu'aujourd'hui, nous avons totalement réglé cette injustice dans le domaine du Sida.
La résistance antimicrobienne inquiète les plus hautes autorités mondiales et Margaret Chan a lancé la mobilisation générale. Comment l’OMS peut-elle être leader sur le sujet ?
P. D.-B. C’est une urgence fondamentale : aujourd’hui, la résistance antimicrobienne provoque la mort de 50 000 personnes par an aux États-Unis et en Europe et 700 000 dans le monde. Pour la combattre, l’OMS doit renforcer le concept « one health », une seule santé, animale, végétale et humaine. Il faut aussi travailler en recherche et développement, dans des domaines où le marché ne permet pas de développer des traitements. Beaucoup de firmes pharmaceutiques ne développent pas de molécules parce qu’il n’y a pas d’argent à gagner. Ce qui est compréhensible pour une entreprise privée. Mais pas en terme de politique publique. Ayons le courage de reconnaître que les seules lois du marché ne suffisent pas.
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