MAIS POUR QUELLE RAISON Dominique Schmitt, préfet du Puy-de-Dôme, a-t-il décidé de ne pas renouveler les agréments des Drs Hélène Asensi, Philippe Couderc et Christian Lachal ? Informés par un courrier du directeur départemental des affaires sanitaires et sociales du département, Jérôme Galtier, le 16 octobre, les trois intéressés se déclarent aussi «surpris» que «perplexes» devant cette décision prononcée sans motif. Après une demande de rendez-vous restée sans réponse, les trois praticiens ont décidé de former un recours gracieux auprès du préfet. Dans des courriers datés des 1er et 2 novembre, les trois psychiatres reviennent en détail sur leurs parcours professionnels respectifs et les expériences qu'ils ont acquises auprès des étrangers atteints de troubles psychiatriques, justement les patients sur lesquels ils rédigeaient des rapports médicaux destinés au médecin inspecteur de santé publique.
Psychiatrie transculturelle et humanitaire.
Le Dr Asensi est titulaire d'un diplôme universitaire de psychiatrie transculturelle ; elle enseigne la psychiatrie humanitaire à Paris-XIII et partage son temps entre son activité libérale, la direction du CMPP (centre médico-psycho-pédagogique) de Clermont-Ferrand, sous tutelle de la DASS, et le service psychiatrie de l'enfant du CHU de Clermont-Ferrand. Egalement enseignant en psychiatrie transculturelle à Paris-XIII, praticien attaché à l'hôpital Avicenne (Bobigny), le Dr Christian Lachal, libéral, a orienté sa pratique et ses recherches sur le traumatisme psychique et les conséquences des conflits, des guerres, des catastrophes et des situations violentes sur les populations. Nommé en 2002 médecin référent de la cellule d'urgence médico-psychologique du Puy-de-Dôme, expert psychiatre auprès de la cour d'appel, le Dr Philippe Couderc, chef de service au centre hospitalier spécialisé Sainte-Marie (Clermont-Ferrand), a lui aussi orienté une part de son exercice en direction des patients victimes de traumatismes psychiques liés aux guerres ; il a d'ailleurs été chargé par la DDASS de l'accueil des réfugiés kosovars en 1999.
Médecins sans frontières confirme que tous les trois sont des consultants internationaux de l'association pour laquelle ils ont rempli plusieurs missions en qualité de volontaires. Ces sans-frontiéristes seraient-ils victimes de la politique des quotas d'immigration ?
«C'est en tout cas notre connaissance, en France comme dans leurs pays d'origine, de ces populations réfugiées, explique le Dr Lachal, qui nous a valu de recevoir l'agrément préfectoral, en juin 2006, pour effectuer des rapports médicaux sur les personnes étrangères malades qui demandent un titre de séjour pour raison médicale. Et c'est cette même connaissance que nous avons de ces milieux qui semble avoir été à l'origine du non-renouvellement.»
Les rapports transmis pour avis au médecin inspecteur de la santé publique par les trois psychiatres ont tous été validés au final par le préfet. Un seul a été contesté qui, à l'issue d'une contre-expertise, a donné lieu à confirmation.
Les Drs Asensi, Couderc et Lachal se déclarent d'autant plus étonnés de la mesure qui les frappe que le nombre des titres de séjour délivrés après leurs rapports a baissé : dix pour les neuf premiers mois de l'année 2007 pour le Dr Lachal et cinq pour les Dr Couderc et Asensi, soit moitié moins qu'en 2006.
«En fait, estime Me Jean-Louis Borie, leur avocat, ces médecins ont été coupables de trop bien faire leur travail, ils étaient trop compétents et donc trop efficaces pour leurs patients.»
Reconnaissant pour sa part que «le sujet est épineux», le président du conseil départemental de l'Ordre des médecins, le Dr André Raynal, s'est fendu d'un courrier adressé à la DDASS, le 7 novembre, dans lequel il tient à souligner que ces «praticiens très estimés n'ont fait l'objet à sa connaissance d'aucune remarque déontologique, ni dans leur pratique libérale ni dans leur pratique hospitalière». Le Dr Raynal estime encore que «la motivation de la décision préfectorale devrait constituer une obligation».
Quant au préfet, il a finalement brisé le silence administratif, tout en tenant à rappeler qu' «il n'est pas tenu de motiver le non-renouvellement d'un agrément»:«La condition pour être agréé, souligne M. Schmitt, c'est d'avoir une parfaite neutralité dans l'exercice de ses fonctions et d'être totalement respectueux des lois de la République.» Et d'ajouter, laconique : «Je n'ai pas considéré que ces trois médecins justifiaient d'être agréés.»
Le Dr Asensi répond qu'elle se sent «profondément bouleversée» par sa décision, «en tant que médecin qui met au plus haut les valeurs éthiques et humanistes inhérentes à (sa) profession». Elle accuse le préfet de s'en prendre, à travers elle et ses deux confrères, à ses patients : «Vous me privez de la possibilité d'accomplir certaines de mes missions jusqu'au bout, sans raison, ce qui est inacceptable. Vous me privez aussi d'exercer les autres actes autorisés par cet agrément, ce qui pourrait aussi avoir des conséquences sur d'autres patients. Le non-renouvellement de nos agréments nous contraints à réorienter nos patients vers d'autres praticiens pour établir les rapports, ce qui est susceptible d'entraîner des ruptures de soins chez ces patients jeunes, isolés et vulnérables. Nous sommes face à une tentative d'obstruction de soins.»
«Cette décision aboutit à une mise en danger de certains patients», n'hésite pas à ajouter le Dr Lachal. «Il ne faudrait pas laisser sur le bord de la route des patients qui souffrent de pathologies psychiatriques», commente pour sa part le Dr Raynal.
Directeur du COMEDE, le comité médical des exilés, le Dr Arnaud Veisse fustige «la totale absurdité de la décision dans le cas du DrCouderc, puisque, comme praticien hospitalier, il garde la possibilité d'établir des rapports médicaux sur les étrangers». Mais, surtout, il dénonce «une situation très préoccupante dans toute la France, spécialement à Paris et en région parisienne, qui vise à bloquer l'accès aux procédures d'agrément des étrangers». Selon lui , «le non-renouvellement des agréments médicaux ne constitue qu'un aspect d'un problème massif».
Les trois psychiatres de Clermont-Ferrand semblent être les premiers à avoir engagé une procédure de recours administratif. A défaut d'une réponse préfectorale dans les deux mois, elle devrait donner lieu à une action devant le tribunal administratif.
« Une atteinte grave et délibérée »
Le cas des trois psychiatres clermontois n'est pas isolé. Le SMISP (Syndicat des médecins inspecteurs de santé publique) a été saisi de semblables décisions de non-renouvellement dans deux autres départements. Sa présidente, le Dr Brigitte Lacroix, exprime ses «vigoureuses protestations contre ces mesures administratives. Elles visent des médecins qui remplissent toutes les conditions de respectabilité, d'honorabilité et de bonnes pratiques et, estime-t-elle, elles s'inscrivent dans une politique globale qui porte une atteinte grave et délibérée à la pratique médicale».
Le Dr Lacroix voit «la même volonté de freiner l'accès aux soins des étrangers s'exercer soit, de manière larvée, dans les mesures de non-renouvellement des agréments médicaux et les pressions exercées sur les médecins inspecteurs de santé publique (« le Quotidien » du 30 octobre), soit, de manière affichée, dans des dispositions législatives comme la réforme de l'aide médicale d'Etat», telle que l'envisage Thierry Mariani, dans sa proposition de loi (lire ci-contre).
La responsable syndicale doit être reçue, à sa demande, au ministère de la Santé, le 23 novembre, pour évoquer ces divers sujets.
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