Si c'était à refaire, renouvelleriez-vous l'expérience ? Oui, sans hésitation, avait répondu le Dr Didier Destal*, chef du service à l'hôpital psychiatrique de Ville-Evrard (Seine-Saint-Denis) (« le Quotidien » du 12 juillet 2001). Le « psy » du Loft s'y recolle donc sans état d'âme et sans surprise.
Pourtant, cette consultation sous très haute tension médiatique n'avait pas été pour lui, l'an dernier, une sinécure. « Rappelez-vous les délirantes envolées lyriques montées des rangs d'une certaine intelligentsia, confie-t-il . On hurlait au dévoiement moral et civilisationnel. On prédisait les pires catastrophes, les candidats allaient se suicider ou s'entre-tuer ! Et moi, en me prêtant à cette opération apocalyptique, je salissais mon titre de psychiatre des hôpitaux ! Tant de superlatifs et de dramatisation pour ce qui n'est en réalité qu'un jeu de télévision ! Et qui s'est finalement déroulé sans aucun incident ni traumatisme particulier. »
Le psy a tenu sous l'orage. Il a répondu aux questions plus ou moins comminatoires du ministère de la Santé et du Conseil de l'Ordre. Et il reste fidèle au poste.
« C'est si les psychiatres refusaient leur concours qu'ils saliraient leur métier, estime-t-il, droit dans ses bottes.
Après tout, il y a là des jeunes qui affrontent une situation nouvelle et délicate pour laquelle la caution d'un thérapeute de confiance, tranquille, pas compliqué, de surcroît autonome par rapport à la production, constitue un recours précieux. »Seule modification consentie par le psy garde-fou par rapport à la première saison : plus (ou presque plus) d'apparition en plateau. Une manière de couper court à certains donneurs de leçons déontologiques.
Sinon, rien n'est changé. Comme en 2001, Didier Destal a commencé ses consultations quelques semaines avant le lancement de l'émission, dans le cadre du casting. Le plus important jamais réalisé pour un programme de télévision en France, à l'échelle de l'énorme audience du programme (jusqu'à 6,8 millions de téléspectateurs au plus fort de la saison, 34 % de parts d'audience) : 200 000 candidats se sont inscrits (célibataires sans enfants âgés de 18 à 35 ans et pouvant se rendre totalement disponibles pendant six mois) ; 45 000 ont rempli un questionnaire-papier à Paris et dans dix grandes villes de province (voir encadré), 500 étant finalement filmés au cours d'un interrogatoire d'un quart d'heure.
« J'ai visionné ces interviews pour éliminer les candidats trop fragiles ou qui présentaient des signes d'agressivité et de violence potentielles. Naturellement, les profils paranoïaques, les pervers manipulateurs, ceux qui présentent des antécédents suicidaires ont été écartés de la sélection. »Cinquante candidats-lofteurs ont été convoqués pour un entretien d'une durée de quatre-vingt-dix minutes avec Didier Destal et son équipe. Vingt heureux élus ont été retenus au final. Chacun d'eux passera encore un dernier entretien aujourd'hui avec le psy, avant d'être déclaré définitivement bon pour le Loft.
« Une ultime vérification pour s'assurer qu'ils ont bien pesé toutes les contraintes du jeu. Et aussi pour consolider les liens entre eux et moi. »Responsabilité et polémiques
Des liens qui vont rester noués quatre-vingt-quatre jours. Quatre vingt-quatre jours et autant de nuits durant lesquels ces « gens normaux, bien dans leur tête, personnalités positives », selon le communiqué diffusé par la production de M6, vont vivre coupés du monde l' « aventure de la connaissance de soi et des autres ». Vingt-deux heures sur vingt-quatre sous l'oeil de vingt-sept caméras, dont l'une immergée dans la piscine, ils vont évoluer dans un Loft qui ne comprend que deux chambres avec dix lits pour douze, un canapé-lit dans le salon et une baignoire-jacuzzi dans la salle de bains.
La mécanique du jeu a été légèrement revue : en deuxième semaine, les filles choisiront un sixième garçon et en troisième semaine, les garçons choisiront une sixième fille. Les sorties seront ensuite progressives après sélection interne et vote du public. Le couple gagnant recevra 500 000 euros et les autres percevront un gain proportionnel au nombre de semaines passées (530 euros par semaine).
Tous les soirs, Didier Destal passera à la Plaine-Saint-Denis, où est installé le décor. Il s'entretiendra avec les journalistes qui suivent sans relâche les lofteurs, visionnant les images suspectes. Les participants qui en feront la demande pourront dialoguer avec lui au téléphone. Y compris, s'ils le souhaitent en urgence, à toute heure du jour et de la nuit. « Moi-même, je pourrai prendre l'initiative de leur proposer un entretien, quitte à ce qu'ils le refusent. Et, en dernier ressort, je déciderai si besoin de la sortie du Loft d'un candidat pour raison médicale. Cela s'était produit une fois l'an dernier, avec David, le premier "partant". »
« Loft story » est un jeu, rien qu'un jeu, martèle le Dr Destal. Mais il convient que pour lui, la responsabilité n'a rien de ludique. « Quoi qu'il arrive, je devrai faire face à la situation. Mais le plus stressant pour moi n'est pas sur le plateau, mais dans les sidérantes polémiques sur l'émission et mon implication. »
L'année dernière, le sénateur Huriet était ainsi monté au créneau contre une émission qui, selon lui, par son caractère d'expérimentation comportementale, bafouait spectaculairement la législation. Des praticiens, tel le Dr Jean-Louis Morizot, chef du service psychiatrique à l'hôpital d'instruction des armées Desgenettes, à Lyon, lui avaient emboîté le pas, en avertissant que « des expériences de vie en milieu clos (comme celle-là) provoquent toujours des réactions violentes » (« le Quotidien » du 14 mai 2001). Président de la Société française de thérapie familiale psychanalytique, le Dr Alberto Eiguer** va plus loin et dénonce aujourd'hui « le double jeu pervers de l'exhibitionnisme et du voyeurisme sexuel et moral. Les spectateurs adultes regardent, observent, espionnent ce qui leur échappe en général, c'est-à-dire la sexualité des jeunes. Les spectateurs adolescents, avides de modèles pour suppléer au délabrement du tissu familial s'y repaissent quant à eux d'une image de convivialité de copains, de vie en bande, privé des stimulis du monde réel. Les participants, enfin, s'adonnent à un jeu primaire et régressif où, tour à tour, ils vont s'aimer et s'éliminer ».
Dans cet étrange cloître contemporain, ils s'isolent, selon le psychanalyste, « pour s'offrir au Dieu de l'image et de l'audimat, contrairement aux moines qui quittent le monde pour s'éprouver et mener une quête intérieure ».
« Attention, avertit le Dr Eiguer, au risque de crise psychique qui peut alors survenir, avec l'angoisse de mort et la claustrophobie. »
Une relation particulière
Mais le Dr Destal n'a décidément cure de polémiquer. Il se réjouit de « l'équilibre manifesté par ses candidats, des jeunes très divers, au bon niveau intellectuel, doués d'une force personnelle pour affronter l'épreuve. Et qui apprécient le contact avec le thérapeute que je suis. Notre relation est très particulière, puisqu'ils ne sont pas des patients. C'est une authentique relation de confiance. » L'an dernier, elle s'est même poursuivie bien après la fin de l'émission.
* Auteur des « Miroirs du Loft », Plon.
** Auteur des « Perversions sexuelles et les perversions morales », Editions Odile Jacob.
Un protocole en béton
Les candidats se sont engagés à subir une batterie de tests médicaux. Parmi lesquels une sérologie VIH. L'an dernier, Act-Up avait dénoncé une pratique « illégale et discriminatoire » que rien ne peut justifier. Le Dr Destal répond que « la confidentialité des examens est totale, le statut sérologique n'étant communiqué qu'aux seuls intéressés. Nous avons mis au point un protocole en béton. »
« Avez-vous des allergies ?... Croyez-vous en Dieu ? »
Avant de passer les tests du bilan médical, physique et psychologique, les candidats ont été priés de « répondre sincèrement » aux questions suivantes :
« Avez-vous eu ou êtes-vous actuellement soigné(e) pour des problèmes psychologiques et/ou physiques ? Si oui, pourquoi, quand et combien de temps ? Décrivez précisément ces événements et le traitement suivi.
Suivez-vous actuellement un traitement médical de quelque nature que ce soit ? Si oui, lequel ? Avez-vous des allergies ? Si oui, lesquelles ? Avez-vous subi une ou plusieurs interventions chirurgicales ? Si oui, lesquelles ?
Avez-vous déjà été suivi(e) ou êtes-vous actuellement suivi(e) pour des dépendances quelconques comme le jeu, l'alcoolisme ou la toxicomanie ? Si oui, décrivez quand et pour quelles raisons.
Des événements ont-ils complètement bouleversé votre vie ? Par exemple, un divorce, un licenciement ? La mort d'un membre de votre famille ou d'un ami ? Autres... Décrivez ces événements bouleversants. »
Les candidats sont ensuite invités à répondre « le plus sincèrement possible » à des questions sur leur personnalité. Il n'y a pas de bonnes ni de mauvaises réponses, précise le questionnaire.
« Quelles sont vos manies au quotidien ? Quel a été le plus beau jour de votre vie ? Parlez-nous de votre parcours amoureux.
Avez-vous déjà participé à une émission de télévision ? Consommez-vous de la drogue ? (Si oui, de quel type et à quelle fréquence ?) Etes-vous fumeur ? (Si oui, combien de cigarettes par jour ?) Buvez-vous de l'alcool ?
Si vous étiez membre d'un parti politique, de quel parti s'agirait-il ? Croyez-vous en Dieu ? Si oui, êtes-vous pratiquant ? A quelle religion ou à quel mouvement spirituel adhérez-vous ?
Citez vos trois films préférés.
Que pratiquez-vous ? La danse, la comédie, la musique, le chant, l'écriture, jouer aux échecs, la peinture, la sculpture, les activités sportives ? »
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