« UNE GRANDE victoire de portée internationale. » Claude Huriet, président de l'institut Curie, ne cache pas sa satisfaction au lendemain de la révocation par l'Office européen des brevets (OEB) du brevet que détient la société Myriad Genetics, portant sur le diagnostic de prédisposition génétique aux cancers du sein et de l'ovaire. Une victoire qui est le fruit du combat mené depuis 2001 par l'institut Curie, l'institut Gustave-Roussy, l'AP-HP, mais aussi des partenaires européens, contre le monopole abusif de l'entreprise de biotechnologie américaine.
Mobilisation contre le monopole.
Rappelons les faits. En 1995, la société Myriad Genetics, basée à Salt Lake City, dépose en Europe les brevets des gènes Brca1 et Brca2, responsables de 95 % des formes familiales héréditaires de cancer du sein et de l'ovaire, après avoir identifié le premier - la localisation avait été réalisée par un consortium international - et racheté la licence du second à une autre société. Trois ans plus tard, Myriad Genetics expose ses revendications en matière de monopole d'exécution et de tarifs, et exige notamment l'envoi de tous les échantillons d'ADN à Salt Lake City.
En 2001, lorsque l'OEB délivre à l'entreprise deux brevets couvrant toutes les méthodes diagnostiques de prédisposition les réactions sont vives dans le milieu de la recherche français. Le service de génétique oncologique de l'institut Curie, qui a mis en évidence l'imperfection de la méthode industrielle de Myriad Gnenetics (elle ne permet pas de détecter toutes les mutations), engage une procédure auprès de l'Office européen pour dénoncer le monopole de la société américaine : Myriad Genetics dispose de la seule banque de données mondiale dans ce domaine, et sa main-mise priverait tous les chercheurs des données nécessaires à la recherche de nouveaux gènes de prédisposition. Peu à peu acquis à la cause de ce combat, le gouvernement français, le Parlement européen, ainsi que des instituts européens, comme la Société belge de génétique humaine, s'associent à la procédure d'opposition. « Il ne s'agit pas d'aller en guerre contre la brevetabilité du vivant, mais de lutter contre un cadre inadapté », précise Dominique Stoppa-Lyonnet, chercheuse de l'institut Curie et fer de lance de la mobilisation.
La décision prise le 18 mai par la division d'opposition de l'OBE révoque le premier brevet détenu par Myriad Genetics. Brevet qui, précise-t-elle, ne « satisfait pas aux exigences de la Convention sur le brevet européen ». En fait, l'OEB a reconnu l'insuffisance de la méthode, mais aussi le « défaut d'inventivité » de l'entreprise qui s'est contenté de finaliser un travail réalisé en grande partie dans un contexte de coopération scientifique international.
L'intérêt des malades.
En conséquence, les équipes européennes vont pouvoir continuer à faire des tests génétiques sans craindre d'être arrêtés par Myriad Genetics. « C'est une victoire pour les malades », assure Pascale Briand, présidente de la Mission interministérielle contre le cancer. Pour Thomas Kurtz, cette décision représente « le succès d'un principe fort, celui de l'utilisation des connaissances scientifiques dans l'intérêt des malades et des équipes médicales », avant les intérêts commerciaux. C'est aussi la reconnaissance d'une conception de la recherche fondée sur l'interdisciplinarité : « Tout seul, on n'est rien », ajoute-t-il, avant de souligner l'importance de la synergie des institutions dans cette affaire. En arrière-plan de la bataille juridique, les enjeux sont essentiels.
Une victoire symbolique, certes, mais qui n'est cependant pas une remise en cause du système, nuance Jacques Warcoin, juriste et spécialiste des brevets : « Cette décision ne délimite pas la brevetabilité du vivant. Elle se contente d'appliquer strictement les règles du brevet. » Reste à savoir si ces règles ne méritent pas d'être changées, pour garantir un meilleur équilibre entre l'intérêt général et l'industrie privée.
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