Idées
Si, au début du XIXe siècle, la folie se médicalise, ce n'est pas parce qu'on a constitué un savoir sur elle, mais parce que, dans l'espace asilaire, un jeu complexe de pouvoirs s'applique au corps même de celui qu'on interne. Et ce que Michel Foucault montre sans cesse, c'est que ce système de pouvoirs, avec ses médecins, ses servants, ses surveillants, ses infirmiers, l'emporte sur toute considération théorique.
Longtemps, la folie fut identifiée à quelque forme d'erreur, une maladie de la croyance. Voulant faire le portrait d'un fou, Descartes parle de ces gueux qui s'imaginent être rois de Hongrie ou avoir un corps de verre, par quelque dérèglement de la fantaisie. Ce que la constitution du pouvoir psychiatrique révèle, c'est que le fou représente avant tout une force dangereuse. En lui, dit Michel Foucault, « une certaine force se déchaîne, force non maîtrisée, peut-être non maîtrisable... ». Cette force peut être, bien sûr, physique ( « les furieux », disait-on au XVIIe), mais elle prend aussi la forme d'incohérences mentales ou de monomanie.
Il résulte de tout cela une conception de la thérapeutique, définie par Pinel comme « l'art de subjuguer et de dompter, pour ainsi dire, l'aliéné, en le mettant dans l'étroite dépendance d'un homme qui, par ses qualités physiques et morales, soit propre à exercer sur lui un empire irrésistible et à changer la chaîne vicieuse de ses idées ».
Perpétuellement regardé
Ce que mettent en lumière certaines de ces leçons, c'est que, en dépit des apparences, tout le pouvoir n'appartient pas au médecin (même si dans son texte célèbre de 1818, Esquirol insiste sur la nécessité d'un physique noble et impressionnant), mais à un dispositif de différentiels. Par exemple, les servants sont au plus près du corps du « malade », semblent l'aider, mais font en fait un simulacre de service et rapportent au surveillant le détail des désirs des personnes. Ils sont donc un relais d'un pouvoir à la fois dispersé et maillé.
Un pouvoir dont Foucault montre qu'il va tendre moins vers la souveraineté, dont la royauté a été le modèle, que vers la reproduction des sociétés disciplinaires des XVIe et XVIIe siècles, dont couvents et monastères ont donné l'exemple. L'idée est de placer quelqu'un sous une procédure de contrôle continu, dans la position d'être perpétuellement regardé.
Une formalisation de ce type est donnée en 1787 dans le célèbre « Panopticon » du philosophe anglais J. Bentham. Ce dernier imagine un bâtiment annulaire dans lequel sont aménagées des cellules qui ouvrent à la fois vers l'intérieur, par une porte vitrée, et vers l'extérieur par une fenêtre ; au centre de l'anneau se tient une tour, de laquelle un observateur peut en pivotant voir immédiatement l'ensemble des occupants des cellules. Schéma valable pour un hôpital, une prison, un atelier, une école, dit Bentham, qui y voit, avec son humour anglais, un remède contre le copiage. De cette utopie diabolique (on n'est jamais sûr qu'il y ait un observateur dans la tour) résulte un paradigme du pouvoir psychiatrique : observer, surveiller et punir.
Rappelons qu'il s'agit d'un cours, donc d'une parole vivante réécrite, épurée de ses redites, parfois trop foisonnante, mais où se fait entendre la plainte de tout sujet : fou, malade, délinquant, détenu, sans l'avoir voulu, objet de connaissance. Si le pouvoir psychiatrique dégénère, dit Foucault, c'est par son application en dehors de sa sphère de fonctionnement ; ainsi du « pouvoir psy » à l'usine, à l'école, au tribunal, sans parler de ses surgeons freudiens propres à dipianiser n'importe quelle situation. C'est donc en conférant aux mots un sens un peu second qu'on peut reprendre la formule d'Alain : « Tout pouvoir rend fou. »
Gallimard/Seuil, coll. Hautes Etudes, 400 pages, 25 euros.
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