L’HISTOIRE DU « CLEMENCEAU » est à la fois pathétique, ridicule et émouvante. Perdu dans l’océan Indien, le navire désarmé, mais pas désamianté, fait son dernier voyage avec un extraordinaire stoïcisme, comme s’il n’avait pas dit son dernier mot et comme si, avant de disparaître, il pouvait survivre quelque temps encore.
La France a un vieux porte-avions qui arrive au terme de son existence. L’auteur de ces lignes a eu l’honneur et le privilège de le visiter il y a plus de quarante ans, quand il portait des « Etendards » en Méditerranée. Un navire superbe, majestueux, invincible.
Le rôle des écologistes.
Aujourd’hui, privé de ses avions et de ses canons, le « Clem » n’en est pas moins resté digne. Il a toujours ce beau profil, le galbe incomparable des coques de porte-avions, la hauteur de la tour, l’élan de la piste.
Mais voilà, plus personne n’en veut, ni la Marine, ni l’Etat, ni même l’Inde. Si peu d’amour pour une si belle relique (ne m’appelez plus jamais Clemenceau), le sort du navire était scellé. Il semble que le gouvernement ait pensé à le désamianter entièrement en France. Peut-être a-t-il trouvé la note trop élevée et s’est-il convaincu que le travail de démantèlement complet du bateau, désamiantage compris, pouvait être accompli dans un chantier indien spécialisé, et sans doute moins cher.
C’était sans compter les écologistes. Ils ont fait savoir que le désamiantage n’était pas terminé et qu’il n’y avait aucune raison d’exposer des ouvriers indiens au mésothéliome. Ils parlaient d’or. Mais un reportage télévisé a montré que les Indiens pensent plus à toucher un salaire qu’à se protéger contre la maladie ; qu’ils ont besoin de travail ; et que si ce n’est pas le « Clem », ce sera un autre navire. Toutefois, le point de vue des ouvriers en Inde n’est pas celui de la justice : saisie par des écologistes indiens (il y en a), la Cour suprême a interdit l’arrivée du « Clemenceau » dans les eaux indiennes. Pour accepter des emplois dangereux, on n’en a pas moins sa dignité. En attendant que l’Etat français épuise tous les recours, le « Clem » avance au ralenti, à environ quinze jours des côtes indiennes.
Interrogée par une radio, Corinne Lepage, ancienne ministre de l’Environnement, a parfaitement expliqué la situation : ce n’est pas honorable pour la France, a-t-elle dit en substance, de délocaliser sa pollution.
De sorte que chacun est dans son rôle : les écologistes qui, le coeur sur la main, ne veulent pas qu’on rende malades les ouvriers indiens, la justice indienne qui n’a pas voulu balayer l’amiante sous le tapis, l’Etat français qui doit chercher le meilleur prix pour le démantèlement du navire. Même l’Egypte, qui n’est pas vraiment spécialisée dans l’environnement, a fait mine de retarder le navire quand il s’est présenté à l’entrée du canal de Suez. C’est dire le pouvoir de nuisance des écologistes : le gouvernement indien aurait sans doute préféré ne rien savoir et donner du travail au chantier de démolition ; le gouvernement français aurait préféré payer moins cher pour se débarrasser de ce qui n’est pas encore une épave. Mardi, Dominique de Villepin et Michèle Alliot-Marie ont déclaré, chacun de son côté, que le gouvernement français obéirait au droit indien, tel qu’il sera édicté par la Cour suprême.
SI PEU D'AMOUR POUR UNE SI BELLE REPLIQUE / NE M'APPELEZ PLUS JAMAIS CLEMENCEAUL’amiante disparu. Autrement dit, le « Clem » pourrait revenir en France, ce qui commence à faire cher pour un bateau dont personne ne veut plus. Là-dessus, on apprend (toujours ces empêcheurs de tourner en rond que sont les écologistes) qu’on ne retrouve pas une partie de la quantité d’amiante à bord du navire : elle ne serait pas à bord, elle ne serait pas davantage entre les mains de la société française qui a procédé à une partie du désamiantage. Laquelle société jure que le tonnage d’amiante retiré du « Clem » correspond exactement à ce qui figure sur ses factures.La ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, a ordonné une enquête et insisté sur la transparence des actions de son ministère. Elle est, il est vrai, irréprochable. Elle aussi est parfaitement dans son rôle : la ministre qui a sacrifié quelques officiers, accusés d’avoir fait liquider un Ivoirien, à la justice, ne risquait pas de noyer le « Clem » dans un discours bureaucratique. Justice française, justice indienne, Michèle Alliot-Marie demeure exemplaire quand il s’agit d’appliquer un principe et de refuser tout accommodement.
En tout cas, une chose est sûre : le « Clem », que tout le monde veut oublier, a la peau dure. Il résiste si bien qu’il mérite de rentrer chez lui et de finir ses jours comme musée flottant.
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