Appelons-la Marianne. Elle pèse 63,3 kilos pour 1,64 mètre et s'habille en taille 40. Malgré un indice de masse corporelle (IMC) à 23,3, elle voudrait perdre plus de 5 kilos et, comme la moitié de ses compatriotes, a déjà fait plusieurs régimes.
Marianne est une création statistique, la Française moyenne telle qu'elle ressort de l'enquête menée auprès de 903 femmes de 18 à 65 ans. Réalisée par le CSA pour l'OCHA (Observatoire Cidil des habitudes alimentaires)*, elle est présentée aujourd'hui au Symposium organisé par l'observatoire sous le titre « Corps de femmes sous influence. Questionner les normes »).
Les normes, on pourrait croire que ce sont uniquement celles de la mode et des magazines féminins. Mais elles sont aussi médicales, puisque les 5,7 kilos que souhaite perdre notre Française moyenne sont équivalents à ceux qui la séparent du poids qu'elle considère « normal pour la santé ».
« Rien de plus normal que de vouloir peser un poids normal », commente l'auteur de l'étude, Estelle Masson (maître de conférences en psychologie sociale à l'université de Brest). Sauf que ce ne sont pas seulement les femmes les plus corpulentes qui souhaitent peser moins et pensent devoir peser moins, mais aussi très souvent celles qui ont un poids dit normal. Parmi les femmes affichant un IMC médicalement correct, elles sont encore 65,4 % à souhaiter peser moins (20,7 % entre 5 et 12 kilos et 1,7 % jusqu'à 12 kilos et plus) et 51,4 % à considérer que, pour leur santé, il serait préférable de maigrir. L'argument médical, qui ne devrait concerner que les femmes au poids pathologiquement trop élevé, est entendu par toutes et semble lui aussi contribuer à imposer un modèle de minceur.
A 24 ans, déjà quatre régimes
Moyennant quoi, 55 % des 738 femmes de l'étude de poids normal ou en surpoids (IMC entre 18,5 et 30) ont déjà fait un ou plusieurs régimes. Les jeunes ne sont pas les moins acharnées : 48 % des 18-24 ans ont l'expérience du régime et en ont déjà fait en moyenne près de quatre (seulement un de moins que les 25-49 ans et trois de moins que les 50-65 ans). Et les ambitions de ces régimes ne sont pas minces : dès la première tentative, il s'agit de perdre huit kilos pour les femmes en surpoids et six kilos pour celles ayant un IMC normal.
Et pourtant, les régimes, c'est difficile, reconnaissent 77 % des femmes (dont 35 % qui les jugent très difficiles) et 73 % ont souvent envie de craquer. Difficile et sans garantie de succès : 43 % seulement des femmes en surpoids et 69 % des femmes de poids normal ont atteint leur objectif lors du dernier régime suivi (pendant 52 jours en moyenne pour les premières, 45 jours pour les secondes). Pour les soutenir, les femmes comptent alors sur leur entourage davantage que sur des professionnels (72 % des régimes ne sont jamais suivis par un médecin ou un diététicien, alors que 42 % des femmes pensent que cela pourrait les aider).
Cinq profils
Quelle différence entre celles qui ne font pas de régime et celles qui en font ? C'est moins le poids que la façon de « penser » leur corps. Les femmes qui ne font pas de régime déclarent significativement plus aimer leur corps, tout en semblant moins obnubilé par lui. Celles qui font des régimes sont dans « une logique de contrôle de soi », « de surveillance et de domination de leur corps au quotidien par l'alimentation et l'exercice ».
Or seulement 14 % des femmes ont une relation sereine avec leur corps et avec leur poids. Abandonnant sa Française moyenne pour brosser - en excluant les maigres, les obèses et celles qui cherchent à grossir - cinq profils, l'étude les classe parmi les femmes « au corps complice ». La catégorie la plus importante (37 %) est celle des femmes « au corps qui parle, reflet des états d'âme » : lorsque tout va bien, elles aiment leur corps, même s'il a des rondeurs ; quelques soucis, et c'est la prise de poids, vécue comme perte de contrôle, le corps grossi rappelant qu'on s'est laissé submerger par ses problèmes ; il faut alors reprendre le contrôle, ce qui serait une question de volonté... jusqu'aux prochains états d'âme. Il y a aussi les femmes « au corps résigné » (20 %) : ce sont souvent les plus âgées et elles sont résignées face à un corps jugé imparfait, qui s'est épaissi au fil des ans, oscillant entre culpabilité et déni de leurs rondeurs. Les femmes « au corps en souffrance » (12 %) sont sous ce rapport les plus malheureuses : elles mènent un combat permanent et infructueux, victimes des régimes yo-yo qui leur donnent toujours plus de kilos à perdre ; et elles se jugent durement en raison de leur incapacité à contrôler la situation. Enfin, les femmes « au corps objet » (16 %), plus minces que la moyenne, ont des objectifs minceurs très exigeants ; elles respectent leur corps comme un capital beauté et se conforment à une hygiène de vie très stricte ; elles font aussi partie des grosses consommatrices de produits de régime.
Le corps des femmes a connu toutes les contraintes, rappelle l'anthropologue (CNRS) Annie Hubert dans son introduction au symposium : bandage des pieds des Chinoises, élongation du cou des Karen, déformations des lèvres des femmes africaines, corsets et talons aiguilles des Occidentales... Et la libération a été de courte durée. « La contrainte du corset et de la gaine a été remplacée par un carcan infiniment plus lourd et une pression phénoménale », estime-t-elle. Une pression à laquelle contribue le discours médical en parlant imprudemment de poids idéal, comme le souligne le Pr Arnaud Basdevant (Paris-§), alors que pour un même IMC, les risques pour la santé diffèrent grandement d'un individu à l'autre. Quand les normes esthétiques et médicales se transforment en normes morales, le gras devient le péché et le gros un « délinquant nutritionnel ». Et Marianne commence un nouveau régime...
* L'OCHA travaille depuis 1992, sous l'égide d'un comité scientifique, à un programme à long terme d'études et de publications dont l'objectif est de déchiffrer la relation que les mangeurs entretiennent avec leur alimentation. Tél. 01.49.70.71.71, www.lemangeur-ocha.com.
D'un régime l'autre
Les adeptes des régimes ne sont pas fidèles à une seule méthode. Elles en essayent en moyenne 2,7, à commencer par le régime classique (grillades, poissons, légumes verts, yaourts et fruits) pour 78 % d'entre elles, la réduction des quantités consommées (65,4 %) et l'évitement de certains aliments (60,1 %). Une sur cinq (20,9 %) a goûté les substituts de repas, 11,4 % ont adopté la méthode Weight Watchers et 8,6 % un régime hyperprotéiné mixte (sachet +repas). Suivent, surtout pour les femmes en surpoids, régime dissocié, régime hyperprotéiné tout en sachet, Mayo, Montignac... De plus, 25,1 % des femmes ayant l'expérience des régimes reconnaissent avoir déjà consommé des « coupe-faim » et des produits « brûle graisse ».
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