Vivre sa maladie puis la coucher par écrit n'est pas le symptôme d’un mal contemporain. Aujourd’hui, on ne compte certes plus les confessions de ce type. Entre le guide pratique et le récit, ces livres constituent un genre littéraire en soi. Mais au-delà de l’inflation du nombre de titres, le témoignage sur sa maladie, la transmission de son expérience et surtout la recherche du bon traitement en réaction à une médecine officielle impuissante tissent un fil entre malades et les époques comme un soutien sans faille. Qui connaît aujourd’hui Ulrich Von Hutten (1) au-delà du cercle étroit des spécialistes de la littérature européenne humaniste au tournant du XVIe siècle ? Il nous a pourtant transmis un témoignage exceptionnel sur la maladie du siècle, la syphilis. Ce fin lettré allemand rompu à toutes les batailles intellectuelles de son temps, engagé avec Luther contre Rome nous donne à voir les ravages, les souffrances provoquées par ce « mal français ». Surtout comme tous les malades d’hier et d’aujourd'hui, ce patient nous livre sa quête du remède miracle, encore inconnu des spécialistes. C’est ici le Gaïac,en provenance du Nouveau Monde, et doté de toutes les vertus thérapeutiques. Au début, le traitement accomplit des prodiges. Et Von Hutten s’estime guéri. D’où la volonté de partager son expérience heureuse au profit de la grande communauté des malades. Mais une fois son livre achevé, la maladie sera plus forte. Et il meurt seul en Suisse. En creux, se lit aussi le récit d’une illusion, celle d’imaginer triompher de la maladie. La force du livre, cinq cents ans plus tard, échappe à son auteur. Von Hutten revendique le côté exemplaire de son livre. Le lecteur contemporain y reconnaît surtout l’aspect tragique, le combat perdu face à une maladie incurable et la volonté d’échapper à son destin. Les patients d’aujourd'hui ne cultivent plus ce rêve. Ils sont devenus adultes, du moins certains d’entre eux qui affichent une terrible lucidité. Frédéric Barbé (2) atteint d’une sclérose latérale amyotrophique, n’est guère habité par le principe d’espérance. La littérature est hissée ici au titre d’outil thérapeutique. Et le témoignage s’estompe au profit de l’écriture. L’émotion est capturée, maîtrisée à la manière d’un effet désirable. La vie continue comme sur un fil.
Cette culture du je s’est nourrie à partir de ces grands livres du XXe siècle où la recherche du vrai frise l’impudeur. La littérature se veut un sport de combat, un exercice où l’on exhibe ses tripes sur la table. Michel Leiris (3) ne s’épargne pas. L’auteur pratique la dissection de son âme in vivo, sans trembler. Et met à plat ses blessures, de toute nature. L’homme jette ses secrets en public. Et ne s’abrite plus derrière l’épreuve de maladie pour oser tout dire. On a ici atteint l’Age d’homme …
(2) La Grande Santé, éd. du Seuil, 195 p, 17,50 euros.
(3) L’Age d’homme précédé de L’Afrique fantôme, Michel Leiris, collection de la Pléiade, éd. Gallimard, 1456 p, 75 euros.
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