DANS UN ÉDITORIAL publié en première page de son édition du 3 septembre, « l'Osservatore Romano », le quotidien du Saint-Siège, lance un nouveau pavé dans la mare des polémiques sur l'euthanasie en contestant le concept actuel de mort cérébrale. «La mort cérébrale ne peut pas être assimilée à la définition de la mort», affirme l'éditorialiste, qui évoque le rapport de Harvard publié en 1968, le premier à définir les critères de mort cérébrale (voir encadré). «Les études dernièrement publiées remettent sérieusement en question le fait que la mort encéphalique puisse provoquer “la désintégration de l'enveloppe charnelle”, c'est-à-dire la mort réelle», ajoute-t-il. Une affirmation qui inquiète la communauté scientifique italienne dans la mesure où elle remet en question le prélèvement d'organes autorisé sur la base de la constatation de la mort cérébrale.
Cette incitation à mener une nouvelle réflexion sur la définition de la mort arrive au moment où l'opinion publique s'interroge justement sur le concept de mort cérébrale avec l'affaire Englaro. Tout a démarré à la mi-juillet. Ou plutôt il y a dix ans, lorsque le père d'Eluana Englaro a commencé à se battre pour que sa fille plongée dans un état végétatif chronique à la suite d'un grave accident de voiture, puisse mourir «en paix». Durant toutes ces années, le père de cette femme aujourd'hui âgée de 39 ans a interpellé la justice italienne afin que l'on respecte la volonté de sa fille, qui, dit-il, aurait préféré mourir.
Les politiques dans la bataille.
En juillet dernier, la Cour de cassation a ordonné l'interruption de l'alimentation et de l'hydratation artificielles d'Eluana Englaro. Une décision qui a profondément secoué la conscience des Italiens. Et si, selon un sondage, huit Italiens sur dix ont et continuent d'approuver la décision de la Cour de cassation, l'Église et la classe politique, notamment de droite, se battent pour obtenir la révision de ce verdict. Toujours en juillet dernier, l'Église a invité les fidèles à prier dans toutes les églises d'Italie «pour qu'Eluana vive», tandis que des manifestations étaient organisées à Milan et à Rome par le mouvement pour la défense de la vie.
Côté politique, le Sénat avait été convoqué d'urgence à la mi-juillet pour débattre et engager une procédure d'urgence afin de bloquer la décision adoptée par la Cour de cassation. Une attitude inhabituelle et inconstitutionnelle, soulignent plusieurs juristes, mais qui a immédiatement relancé le débat sur l'euthanasie alors que le Parlement devrait pour sa part affronter très prochainement la question du testament biologique.
Avec la rentrée, l'affaire a pris un nouveau tournant depuis que l'on a appris que la famille d'Eluana Englaro avait présenté un recours en justice contre les structures sanitaires qui refusent d'appliquer la décision de la Cour de cassation. D'où l'intervention en coulisses de l'Église à travers « l'Osservatore Romano », qui tente, certes, de bloquer l'application du verdict, mais introduit également un nouvel élément de discussion, suscitant ainsi de nombreuses polémiques, notamment au sein de la communauté scientifique italienne.
«Je n'ai pas l'impression qu'il existe en l'état actuel des études scientifiques remettant en question les principes établis dans le rapport Harvard», a déclaré Alessandro Nanni Costa, directeur du Centre national des greffes. Le jugement est encore plus tranché à l'AIDO, l'Association italienne des donneurs d'organes. «Cet article contraste avec la position du monde scientifique et se concentre sur les morts et non pas sur les malades en liste d'attente, qui ont la possibilité de vivre grâce au don d'organes», a tonné Vincenzo Passarelli, le président de l'association.
Le point de non-retour.
Son de cloche identique du côté de l'Association des anesthésistes-réanimateurs hospitaliers italiens (AAROI). «En l'absence de nouveaux critères scientifiques, la mort cérébrale est le seul élément permettant d'établir la mort d'un être humain», dit son président, Vincenzo Carpino, qui se déclare toutefois «prêt à engager le débat en cas de nouvelles précisions scientifiques». Et de rappeler que la loi italienne, «l'une des meilleures au monde en la matière», selon lui, prévoit l'application de nombreux paramètres médicaux précis en ce qui concerne la définition de la mort encéphalique.
À ce point du débat, les spécialistes de l'hôpital Niguarda, à Milan, qui prennent en charge Eluana Englaro, pouvaient difficilement éviter d'intervenir. Le Pr Carlo Alberto Defanti, directeur du département neurologique, qui se dit prêt à interrompre l'alimentation et l'hydratation artificielles, n'exprime aujourd'hui aucun doute. Même s'il avait déclaré il y a quelques mois : «L'irréversibilité de la mort encéphalique n'a pas encore été démontrée.» Une phrase qu'il tente maintenant de redimensionner en affirmant que lorsque certains critères médicaux ont été remplis, le «point de non-retour peut être alors constaté».
Définitions
En 1968, le comité de la faculté de médecine de Harvard chargé d'examiner la définition de la mort cérébrale publie ses conclusions dans le « JAMA » en établissant le concept de coma irréversible : absence de réceptivité et de réaction ; absence de mouvement et de respiration ; absence de réflexes ; EEG plat ; aucune modification des résultats des tests répétés 24 heures plus tard et exclusion d'hypothermie (en dessous de 32,2 °) et de dépresseurs du SNC.
En France, la définition légale de la mort est fixée par un décret du 2 décembre 1996 portant sur le prélèvement d'organes ou de tissus.
Si la personne présente un arrêt cardiaque et respiratoire persistant, le constat de la mort ne peut être établi qu'en présence de trois critères cliniques : absence totale de conscience et d'activité motrice spontanée ; abolition de tous les réflexes du tronc cérébral ; absence totale de ventilation spontanée. Et pour attester le caractère irréversible de la destruction encéphalique, il est recouru en complémen, soit à deux EEG nuls et aréactifs effectués à un intervalle minimal de quatre heures, soit à une angiographie objectivant l'arrêt de la circulation encéphalique.
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