DANS L'ETUDE qu'elle présente aujourd'hui à l'Académie nationale de médecine, avec le Dr Dominique de Penanster (médecin inspecteur général de santé publique), le Pr Dominique Lecomte, directrice de l'Institut médico-légal de Paris, commence par analyser les causes médicales des 452 décès recensés à Paris intra muros entre le 1er et le 31 août dernier ; elle note que, pour 90 % d'entre eux, le libellé sur le certificat de décès mentionne « arrêt cardio-circulatoire lié aux conditions climatiques ».
Absence de rigueur scientifique.
Une origine qui, selon elle, trahit « l'absence de rigueur scientifique » des médecins certificateurs : l'état des cadavres dans les deux tiers des cas (putréfaction plus ou moins développée et même parfois très avancée) permettait tout au plus d'éliminer l'hypothèse d'une mort violente, il ne pouvait fournir aucune indication sur l'existence ou non d'une hyperthermie au moment du décès. Du reste, parmi les antécédents médicaux étudiés, on ne relève des affections cardio-respiratoires que pour 26 % des victimes, les affections psychiatriques arrivant nettement en tête (33 %), ainsi que l'avaient déjà signalé les enquêtes précédentes.
Mais c'est surtout l'examen des conditions de vie et de l'environnement des personnes décédées qui est ici riche d'enseignements. Elle établit que le principal facteur de mortalité a été l'isolement.
Quatre-vingt-huit pour cent des victimes de la canicule vivaient seules. Une sur quatre n'avait plus aucun contact avec le monde extérieur, qu'il soit d'ordre familial, amical ou social. Quinze pour cent refusaient une aide de l'extérieur.
Pour ceux qui conservaient un lien social, le rythme de la vie relationnelle était très variable : quotidien dans un tiers des cas, hebdomadaire pour 34 %, mensuel pour 11 %, voire annuel pour 7 %.
Dans 40 % des cas, ce contact était familial, il était amical dans 36 % des cas et social (services médicaux, sociaux ou associatifs) dans 24 %.
L'enquête fournit encore des précisions sur les conditions de logement des disparus de la canicule : 41 % des victimes habitaient une pièce unique dont la superficie était inférieure à 10 m2 pour 12 % d'entre elles ; les procès-verbaux soulignent que 50 % des logements étaient propres et ordonnés, 17 % étant qualifiés d'insalubres. Et 54 % de ces appartements, situés dans les deux derniers étages des immeubles, 36 % au dernier étage, sous les toits, avec un vasistas pour toute ventilation, sans ascenseur pour la moitié des cas, se sont transformés en fournaises : les secours ont enregistré des températures généralement comprises, à l'ouverture de la porte, entre 36 et 40 degrés.
La défaillance du lien social a été fatale : des symptômes d'alerte ont été relevés dans un quart des cas : asthénie (76 %), perte d'appétit ou début de déshydratation (21 %), confusion (3 %).
Cependant, note le Pr Lecomte, « la présence de ces signes avant-coureurs n'a entraîné aucune mobilisation particulière ».
Les observateurs n'ont pas su apprécier la gravité de la situation. « On sait, commente le rapport, que les personnes âgées ont une baisse naturelle de la perception des variations thermiques et de la sensation de soif et que celle-ci est augmentée lorsqu'il existe une altération de la vigilance. »
Bouteilles d'eau non ouvertes.
On le sait, mais les entourages des victimes l'ignoraient, qui n'ont pas su réagir comme il aurait fallu. Ainsi le message « il faut faire boire les personnes âgées » a été entendu mais, semble-t-il, en partie seulement intégré : les témoins qui ont découvert les victimes ont fréquemment relevé la présence sur la table de nuit de bouteilles d'eau non ouvertes.
Quelles leçons tirer des événements ? Le Pr Lecomte estime que la préconisation d'une surveillance télémétrique, qui peut être utile en cas d'urgence, ne saurait se substituer au contact humain. Pour combattre le mortel facteur d'isolement, elle en appelle à « une politique de proximité, c'est-à-dire de quartier, de façon que lors de tout événement climatique ou de toute catastrophe, quelle que soit l'étiologie, chacun puisse être visité chaque jour par une personne capable de donner l'alerte au moindre événement ».
En dernier ressort, elle estime que la seule action vraiment efficace aurait consisté à sortir les personnes de leurs combles surchauffées pour les installer pendant une semaine dans un environnement viable. Un protocole élaboré à cette fin semble nécessaire.
La directrice de l'IML souligne encore qu'au plus fort de l'épidémie, en particulier entre le 12 et le 16 août, le délai de prise en charge pour le transport des corps s'est allongé, les services des pompes funèbres étant débordés ; la putréfaction des corps s'est trouvée aggravée et les capacités d'accueil de l'IML ont elles-mêmes fini par être dépassées.
Les ministres de l'Intérieur et de la Santé ont confié, le 24 septembre, un rapport au Pr Lecomte sur la gestion des décès massifs. Il devrait leur être remis à la fin du mois, avec toute une série de préconisations à la clé, sur la politique thanatologique à mener en cas de catastrophe.
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