SI PRÈS DE 99 % des séquences d'ADN du génome humain sont presque toujours identiques d'un individu à l'autre, d'infimes régions de nos chromosomes sont qualifiées d'hypervariables. Ces régions particulièrement instables sont à l'origine d'une diversité de séquences nucléotidiques tellement importante qu'elles permettent de dresser un profil de variations génétiques absolument unique pour chaque individu (sauf dans le cas de jumeaux monozygotes). Par analogie avec les empreintes digitales, ce profil génétique individuel est couramment appelé « empreinte génétique ».
Les minisatellites.
C'est en 1984 que le généticien britannique Alec Jeffreys a découvert les empreintes génétiques. Dans son laboratoire de l'université de Leicester, Jeffreys étudiait l'évolution du gène de la myoglobine. En comparant les séquences de ce gène dans différentes espèces, il a découvert une région non codante de l'ADN très conservée d'une espèce à l'autre, qui avait la particularité d'être composée d'une courte séquence de nucléotides répétée en tandem un nombre variable de fois. En recherchant dans les banques de données, il lui est apparu que ce type de séquences, baptisées séquences « minisatellites » ou Vntr (Variable numbers of tandem repeats), était retrouvé à de multiples endroits du génome de la plupart des organismes vivants. Jeffreys eut immédiatement l'intuition que ces caractéristiques pouvaient faire des minisatellites d'excellents marqueurs de l'identité génétique. Il décida de mettre de côté son travail sur le gène de la myoglobine pour tester cette idée le plus rapidement possible.
Le premier protocole mis au point par Jeffreys et son équipe impliquait la digestion enzymatique du patrimoine génétique à analyser. Cette réaction permettait de découper les chromosomes en une multitude de fragments de tailles variables. Ces fragments étaient ensuite séparés les uns des autres et classés par ordre de taille. A l'aide de sondes radiomarquées, les chercheurs révélaient alors les fragments de chromosomes contenant des minisatellites. Le résultat de l'expérience se matérialisait sous la forme d'une autoradiographie présentant une série de 15 à 20 bandes parallèles plus ou moins espacées les unes des autres, comme une sorte de code-barres. Chacune de ces bandes correspondait à un fragment chromosomique contenant un minisatellite.
Jeffreys et ses collaborateurs ont montré que leur méthode permettait de différencier tous les membres d'une même famille : les séquences minisatellites analysées étaient assez variables d'un individu à l'autre pour que chaque personne puisse être associée à une empreinte génétique différente. Les chercheurs ont en outre constaté que leur protocole permettait d'étudier les liens de filiation car le code-barres associé à un individu correspond toujours à une combinaison des codes-barres de ses deux parents.
Sur la piste de criminels.
Cette découverte ne passa pas inaperçue : au printemps 1985, peu de temps après la parution des premiers travaux de Jeffreys dans la revue « Nature »*, le laboratoire du généticien fut contacté par l'avocat d'une famille originaire du Ghana qui avait obtenu la nationalité britannique. Au retour d'un voyage en Afrique, un des fils de la famille avait été arrêté par la police de l'immigration britannique. Les policiers avaient un doute sur l'identité du jeune homme : s'agissait-il du fils de la famille ou bien d'un de ses cousins qui tentait d'immigrer illégalement ? La méthode de Jeffreys permit de régler rapidement l'affaire en établissant avec certitude que le jeune homme était bien celui qu'il affirmait être.
A la suite de ce premier succès, Jeffreys reçut un coup de fil de la police criminelle de Leicester : le corps d'une jeune fille, violée et étranglée, venait d'être retrouvé dans la région. Un suspect avait avoué le meurtre, mais il refusait de reconnaître sa culpabilité dans un autre assassinat d'adolescente qui s'était produit quelque mois auparavant aux abords du même village et selon le même mode opératoire. Les policiers pensaient que Jeffreys allait les aider à prouver la culpabilité de leur suspect dans les deux meurtres. A leur grand désarroi, si le résultat du test génétique pratiqué par Jeffreys a bien confirmé l'hypothèse de l'agresseur unique, il montrait aussi très clairement que cet agresseur ne pouvait être l'homme retenu par la police.
Les enquêteurs décidèrent alors d'employer les grands moyens en soumettant les 5 500 hommes de la région à un test génétique. Mais, là encore, leur espoirs furent déçus : aucun de ces hommes ne présentait un profil génétique correspondant à celui du meurtrier. A l'annonce de ce résultat, l'enthousiasme de la police et du grand public pour le test de Jeffreys retomba. Jusqu'au jour où, six mois plus tard, une femme rapporta qu'elle avait entendu un homme se vanter d'avoir passé le test génétique à la place d'un de ses collègues de travail, un dénommé Colin Pitchfork. La police convoqua l'homme et le soumit à l'analyse d'ADN : son empreinte génétique était identique à celles des échantillons recueillis sur les corps des deux adolescentes. Sa culpabilité put, dès lors, être rapidement établie et Pitchfork fut condamné à la prison à vie au début de l'année 1988.
Les méthodes permettant de révéler l'empreinte génétique propre à un individu ou à un échantillon biologique ont progressivement été améliorées au cours des années 1990, notamment avec l'introduction d'une nouvelle technique de biologie moléculaire, la PCR, et avec la découverte d'une nouvelle famille de marqueurs génétiques, les microsatellites. Les protocoles actuels d'analyse des empreintes génétiques se fondent toujours sur le principe établi par Jeffreys, mais ils sont plus fiables, plus précis et surtout bien plus sensibles qu'en 1985. Ils permettent d'obtenir une empreinte génétique extrêmement discriminante à partir d'une infime quantité de matériel biologique (en théorie, une cellule peut suffire) et même à partir de matériel abîmé ou stocké depuis très longtemps. Une minuscule tache de sang, même séché, un seul cheveu, de la salive laissée sur le bord d'un verre ou encore, a fortiori, une gouttelette de sperme suffisent à établir un profil génétique.
Ainsi, l'an dernier, un braqueur de banque a été trahi et condamné par ses problèmes de cuir chevelu : 25 pellicules retrouvées sur un masque utilisé lors d'un vol ont permis à la police de remonter jusqu'à lui.
Prudence et rigueur.
Si l'utilisation des empreintes génétiques dans le cadre d'enquêtes criminelles est devenue monnaie courante, le recours à cette technique exige prudence et rigueur : la méthode est si sensible que des problèmes de contamination peuvent facilement survenir. En outre, aussi fiables et complexes que soient les tests utilisés, la concordance entre l'empreinte génétique d'un suspect et celle d'un échantillon biologique recueilli sur le lieu d'un crime ne peut suffire à prouver la culpabilité du suspect. Cette concordance ne peut être interprétée qu'en terme de probabilité. « Plus nombreux sont les sites polymorphes qui font apparaître une concordance entre un échantillon probatoire (recueilli sur le lieu d'une infraction) et un échantillon connu (prélevé sur un suspect), moins il est probable que l'échantillon probatoire provienne d'un individu différent », souligne l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques dans son rapport du 7 juin 2001 sur la valeur scientifique de l'utilisation des empreintes génétiques dans le domaine judiciaire.
L'identification génétique a donc pour fonction de compléter une enquête judiciaire et ne peut en aucun cas s'y substituer.
En revanche, la discordance entre l'empreinte génétique d'un individu et celle d'un échantillon probatoire peut suffire à disculper un suspect ou à revenir sur un jugement de culpabilité. Aux Etats-Unis, « l'appel ADN » a permis de disculper près d'une centaine de prisonniers, dont plusieurs étaient condamnés à la peine capitale.
En dehors des cours pénales, la découverte de Jeffreys s'est notamment révélée très utile aux protocoles d'identification de victimes. L'utilisation des empreintes génétiques complète en effet avantageusement les autres méthodes utilisées, en particulier dans le cas de l'identification des victimes de catastrophes dont le corps est souvent très mutilé. Elle permet en outre, le cas échéant, de procéder plus facilement au regroupement des fragments de corps.
Kit de prélèvement.
Mais l'application la plus répandue et la plus populaire des travaux de Jeffreys est certainement le test de filiation : en 1998, un laboratoire privé a placardé dans tous les « relais bébé » des autoroutes américaines une affiche publicitaire sur laquelle on pouvait lire « Qui est le père ? », suivi d'un numéro de téléphone. Ce procédé commercial s'est révélé aussi efficace que discutable : le laboratoire a reçu plus de 300 appels par jour pendant toute la durée de cette campagne. Les personnes intéressées par le test étaient aussi bien des pères suspicieux que des mères célibataires qui cherchaient à faire reconnaître la paternité de leur enfant.
Aujourd'hui, des dizaines de sites Internet commerciaux proposent des tests de filiation. Pour environ trois cents euros, ces entreprises vous feront parvenir un kit de prélèvement très simple d'utilisation. Vous n'aurez qu'à renvoyer un frottis buccal des personnes à tester et le laboratoire vous communiquera le résultat de son enquête génétique, discrètement, et en moins d'une semaine. Le produit marche bien : au Royaume-Uni au moins 20 000 tests sont vendus chaque année.
En règle générale, il n'est pas nécessaire de fournir l'accord des deux parents présumés. En conséquence, un père dans le doute peut faire pratiquer le test sans avoir à en parler à la mère de l'enfant. De même, puisqu'il est possible de réaliser le test à partir d'un cheveu ou de salive, une mère peut arriver à l'utiliser pour savoir lequel de son mari ou de son amant est le père de son enfant, sans avoir à en parler aux deux hommes concernés.
Mais attention : en France, le recours à ces tests privés est illégal. Souhaitant éviter les dérives et « préserver la tranquillité des familles », la loi française interdit de faire procéder à un test de filiation sans y avoir été préalablement autorisé par un tribunal. L'autorisation ne peut être délivrée que dans le cadre d'une procédure visant à faire reconnaître ou à contester un lien de filiation. Il n'est pas possible d'obtenir l'autorisation de faire un test « juste pour vérification ». En cas d'infraction à la loi, les échantillons collectés et le résultat de l'analyse peuvent être confisqués par les douanes. De plus, le délit est passible d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.
* Jeffreys et coll., « Nature », 1985, vol 316, pp. 76-79.
Pour en savoir plus : M. Ridley, « Génome », Ed Robert Laffont, Paris, 2001 et R. Saad, « Discovery, developement, and current applications of DNA identity testing », « Baylor University Medical Center Proceedings », 2005, vol. 18, 130-133.
Le fichier national automatisé
Le fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg) a été créé en 1998, dans le cadre de la loi du 17 juin relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles. Il contient aujourd’hui plus de 152 000 entrées (le fichier des empreintes digitales en comporte plus de 2,2 millions). En 2005, il aurait permis de résoudre 2 020 affaires.
A l’origine, ce fichier devait uniquement recenser les empreintes génétiques des personnes définitivement condamnées pour des infractions graves présentant un caractère sexuel. Depuis, la liste des circonstances pouvant donner lieu à une inscription au Fnaeg s’est beaucoup élargie.
En 2001, la loi relative à la sécurité quotidienne a allongé la liste des infractions concernées par le fichier en y ajoutant tous les crimes d’atteinte grave aux personnes (homicides volontaires, violences et destructions criminelles, crimes terroristes...). Cette loi a par ailleurs introduit une sanction contre les personnes condamnées réfractaires au prélèvement.
Mais c’est en 2003, avec la loi du 18 mars relative à la sécurité intérieure, que sont intervenues les plus importantes modifications de fonctionnement visant la finalité même du Fnaeg.
Depuis l’application de cette loi, le fichier français concerne la quasi-totalité des crimes et délits d’atteinte aux personnes ou aux biens ainsi que les trafics (violences volontaires correctionnelles, vols simples ou aggravés, recels, blanchiments, infractions à la législation sur les armes...).
De plus, le Fnaeg ne se contente plus d’inclure les personnes condamnées pour l’une de ces infractions : toutes les personnes « à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants, rendant vraisemblable qu’elles ont commis l’une des infractions visées », autrement dit, toutes les personnes mises en examen peuvent désormais être fichées. Lorsqu’une de ces personnes est finalement mise hors de cause, l’effacement des informations qui la concernent n’est pas automatique : les empreintes ne peuvent être retirées du fichier que sur instruction du procureur de la République, agissant d’office ou sur demande de l’intéressée, « lorsque leur conservation n’apparaît plus nécessaire ».
Si les empreintes génétiques des individus simplement placés en garde à vue ne peuvent être inscrites au fichier, un officier de police judiciaire peut cependant prendre la décision de les faire comparer aux empreintes déjà recensées.
Le Fnaeg contient en outre toutes les empreintes associées aux traces biologiques recueillies sur les lieux d’un crime ainsi que celles des personnes disparues et de leur famille (avec leur autorisation).
Un point rassurant : le décret d’application de la loi de 2003 prévoit expressément que les empreintes génétiques inscrites dans le fichier ne peuvent être réalisées que sur la partie non codante de l’ADN.
>>>> E. B.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature