Par le Dr Marie Sarazin et le Pr Bruno Dubois *
ON A LONGTEMPS considéré que l'évolution de la maladie d'Alzheimer était homogène et similaire entre les patients. Cette vision a été remise en cause ces dernières années par les études de suivi de cohortes qui ont montré que la rapidité de l'évolution de la maladie d'Alzheimer était au contraire variable entre les malades. Les termes de « déclineurs rapides » et « déclineurs lents » sont apparus pour rendre compte de cette différence de rapidité évolutive, encore mal expliquée (tableaux ci-dessous). L'idée de pouvoir ainsi dégager des facteurs pronostiques de sévérité de la maladie s'avère essentiel pour deux raisons. Cela pourra aider les cliniciens à répondre aux questions des malades et de leur entourage sur leur avenir et les aider à anticiper les démarches médico-sociales adaptées à leur situation. De plus, de nouveaux agents thérapeutiques sont à l'étude dans la maladie d'Alzheimer dont on attend une action frénatrice sur l'évolution de la maladie. Ces molécules (immunothérapie, inhibiteurs ou modulateurs des secrétases) ne sont pas dénuées de risque. Il s'agira donc de les proposer à bon escient aux malades, c'est-à-dire aux patients dont on est en droit de craindre une évolution sévère relativement rapidement.
Jusqu'à présent, l'étude des facteurs pronostiques avait principalement porté sur l'analyse des facteurs démographiques, tel que l'âge de début de la maladie et le niveau d'éducation, des troubles neurologiques comme l'apparition d'un syndrome extrapyramidal ou de troubles du comportement au cours du suivi, ou encore la sévérité du déficit cognitif global initial. Dans une étude franco-américaine (suivie de cohorte ayant inclus 252 patients atteints de maladie d'Alzheimer, âge = 72,8 ± 8,9 ans, suivis tous les 6 mois pendant 10 ans), nous avons pu préciser les paramètres neuropsychologiques qui sont associés à un risque de perte d'autonomie et d'équivalent institutionnel (1). Les scores initiaux d'orientation temporo-spatiale (items d'orientation temporelle et spatiale issus du MMS) et de mémoire à court terme (empan direct, empan indirect, rappel immédiat de 3 mots, calcul à rebours issu du MMS) sont associés à un risque accru de dépendance modérée (besoin de conseils avec aide indispensable, mais partielle pour les courses, la cuisine, régler les questions financières et veiller à sa sécurité dans des situations inhabituelles). Les scores initiaux aux items évaluant la mémoire à long terme (rappel différé des 3 mots, évocation des présidents), les fonctions visuo-constructives (copie de 2 dessins) et le langage (dénomination de 10 images et items du langage issu du MMS) sont associés à un risque de dépendance sévère (besoin d'une présence constante à ses côtés, aide nécessaire pour s'habiller, se laver et manger correctement).
Une limitation de cette étude est que les facteurs pronostiques identifiés sont peu applicables individuellement et n'ont pas été définis dans des populations de MA légères et débutantes.
La neuro-imagerie, et en particulier l'IRM cérébrale, permettent de visualiser les conséquences de la mort neuronale par l'intermédiaire des mesures d'atrophie. De nombreuses études ont permis de confirmer que la diminution du volume du cortex entorhinal ou de l'hippocampe est associée au risque d'évolution vers une maladie d'Alzheimer chez les sujets âgés et chez les sujets présentant un trouble cognitif léger (MCI). Dans la maladie d'Alzheimer, la progression de l'atrophie des régions temporales internes et du volume cérébral global semble suivre l'évolution clinique de la maladie. Il en est de même de l'augmentation du volume ventriculaire. Ces paramètres n'interviennent donc pas comme des éléments pronostiques, mais sont corrélés à l'évolution clinique.
Pour tenter d'identifier des facteurs pronostiques de rapidité d'évolution clinique dans la MA, nous avons suivi 23 malades pendant 3 ans tous les 6 mois. Au terme de ce suivi, deux populations de patients pouvaient être clairement opposés sur la base de l'évolution du score du MMS : un groupe de 12 sujets avait évolué lentement, avec un perte de 2,2 ± 1,1 au MMS, alors que l'autre groupe de 11 sujets avait évolué rapidement, ayant perdu 8,7 ± 2,7 points au MMS (figure 1). Aucune différence significative n'était observable à l'inclusion entre les deux groupes : âge, niveau d'éducation, MMS initial et batterie neuropsychologique. En revanche, l'analyse en VBM (voxel based morphometry) de l'IRM initiale faite à l'inclusion montre que les sujets ayant un déclin rapide ont une atrophie corticale des régions occipito-pariétales médianes plus marquée que chez les sujets ayant une évolution lente, sans que cette distinction puisse être détectée par les paramètres cliniques initiaux (2) (figure 2).
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