NÉ EN ARGENTINE, grandi au Chili où il travailla auprès de Salvador Allende avant que le coup d'État ne l'oblige à quitter l'Amérique du Sud, l'auteur, enseignant et dramaturge aux Etats-Unis, a composé cette pièce en 1991. Elle pose la question des relations d'un bourreau et d'une victime, et de l'impossible réconciliation d'une nation.
Ariel Dorfman imagine une situation limite, quelque chose qui se situe plus du côté de la fable que de la réalité, même si, ici, tout est épouvantablement vraisemblable.
Vraisemblable, une rencontre de hasard, un mari, une femme, un homme qui passe. Elle reconnaît la voix de son bourreau, celui qui, des années auparavant, sous la dictature, l'a torturée, violée, humiliée pour jamais. Elle n'est pas reconstruite. Elle répète quelque chose.
On connaît les liens troubles, examinés par les spécialistes, des victimes et des bourreaux. Ariel Dorfman se situe du côté de la fiction, et plus, du drame. Il exagère. Il donne une forme théâtrale à sa démonstration. Il n'est donc pas simple d'y adhérer. On se dit qu'il exagère.
On connaît cette pièce, créée en France par Daniel Benoin qui jouait face à Zabou. Dans cette version nouvelle, le metteur en scène, Didier Long, ne s'embarrasse pas de pudeur. Sans doute n'est-il pas dans la trahison du texte. Mais à donner trop de violence, trop d'élan ambivalent au protagoniste principal, cette femme, très jeune encore, blessée et au bord d'un dérèglement de toute raison, met le spectateur dans une étrange et désagréable position. Peut-être ne veut-on pas voir représentée la violence viscérale de cette femme. En tout cas, cette version triviale, directe, très incarnée, très physique, pose bien des questions et instaure quelque chose qui, nous semble-t-il, n'est pas dans le projet de l'écrivain.
Mais le spectacle n'en est que plus intéressant.
La mise en scène de Didier Long s'appuie sur la traduction de Gabriel Auer. La distribution est excellente. Dans le rôle de la présente victime, de l'homme humilié, Jean-Michel Noirey assure correctement sa partition. Frédéric Van Den Driessche, le mari, celui qui justement vient d'accepter de présider la commission qui doit rendre justice et réconcilier un peuple, une nation, est dans l'embarras. Au début, il ne pense qu'au scandale. Le bourreau de sa femme, c'est lui.
Dans le rôle de Paolina, la ravissante et ultra sensible Sophie de La Rochefoucauld est époustouflante. Elle ose. On imagine que c'est un parcours âpre pour une interprète. Elle y va. Elle est une combattante. Comme le personnage.
Didier Long a choisi de suspendre le spectacle sur une image de grande ambiguïté. Cela aussi, c'est intéressant.
Théâtre 14-Jean-Marie Serreau, à 20 h 30 du mardi au samedi, sauf le jeudi à 19 h. En matinée le dimanche à 16 h (01.45.45.49.77). Durée : 1 h 40. Jusqu'au 5 mai. Texte publié par Actes Sud-Papiers.
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