EN MARS 2002, les ostéopathes ont gagné un titre. Dix ans plus tard, ils ont perdu le contrôle. Le paysage de la profession est devenu anarchique. Des décrets ont encadré à partir de mars 2007 l’agrément des écoles et interdit la pratique de certains actes (les manipulations gynéco-obstétricales et les touchers pelviens). Mais cette réglementation montre ses limites. Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), commandé par Roselyne Bachelot en 2010 mais rendu public il y a seulement quelques semaines, dresse un bilan sans concession (voir notre article).
Plus de 17 000 ostéopathes sont recensés en France. La grande majorité (9 000) sont des ostéopathes exclusifs, ceux que les médecins appellent les "ni-ni" pour montrer qu’ils ne sont ni médecins, ni kinés. Quelque 6 500 kinésithérapeutes et environ 1 500 médecins pratiquent l’ostéopathie. Problème : chaque année, environ 3 000 nouveaux diplômés arrivent sur le marché, issus des 74 écoles et annexes agréées par le ministère de la Santé. Le nombre de professionnels a doublé entre 2005 et 2010. La situation est telle que des instituts demandent aujourd’hui aux pouvoirs publics d’intervenir. « La France détient le triste record du monde du nombre d’établissements agréés », commente Patrick Féval, président du Syndicat national de l’enseignement supérieur en ostéopathie (SNESO), qui défend les intérêts de six écoles (Saint-Etienne, Marseille, Marne-la-Vallée, Nantes, Lyon et Toulouse). Le syndicat a élaboré un référentiel de formation qu’il souhaite imposer à la profession et qui retranscrit l’ensemble des connaissances et compétences que l’étudiant doit acquérir pour devenir ostéopathe. « 53 % des ostéopathes exercent à titre exclusif et 47 % occasionnellement, déclare Roger Caporossi, directeur de l’école ESO à Marne-la-Vallée. Or, quand on pratique peu, on pratique mal. »
« Trois quarts des ostéopathes mal formés ».
Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), la durée minimale de formation doit être de près de 4 500 heures pour l’ensemble du cursus. Depuis l’adoption de la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) en 2009, le cursus des ostéopathes doit être de 3 520 heures ou de 4 années minimum. « En France, trois quarts des ostéopathes sont mal formés », affirme Roger Caporossi pour qui les pouvoirs publics de l’époque ont montré leur incompétence en agréant autant d’écoles.
Le nouveau gouvernement a-t-il l’intention de revenir sur la réglementation en vigueur ? Armand Gersanois, de l’Union fédérale des ostéopathes de France (UFOF) a récemment rencontré les conseillers techniques de Marisol Touraine. « Ils ont trouvé que la situation n’était pas normale », commente-t-il. Membre de la commission nationale d’agrément des établissements, l’ostéopathe réclame l’instauration d’un numerus clausus pour réguler la profession. « Au moins une vingtaine d’écoles ne sont pas à même d’enseigner l’ostéopathie », affirme-t-il. Ces instituts ont tout de même été agréés. « Le problème est que l’agrément des écoles repose uniquement sur des dossiers papiers. Il n’y a pas d’audits comme nous le réclamons depuis plusieurs années ». Le système ne s’est pas régulé comme certains l’espéraient. Et les législateurs ferment les yeux. Le député UMP de Paris, le Pr Bernard Debré, a déposé une proposition de loi à l’Assemblée, en septembre 2011, visant à créer un Haut conseil de l’ostéopathie et de la chiropraxie. Cette sorte d’Ordre de la profession devait initialement réglementer la profession, s’assurer du contrôle des écoles et des praticiens et diffuser les bonnes pratiques. Le texte n’a pas été examiné par le Parlement.
Concurrence déloyale.
La situation actuelle inquiète kinésithérapeutes et médecins ostéopathes. La Fédération française des masseurs kinésithérapeutes (FFMKR) condamnait récemment « l’installation sauvage, la publicité tapageuse et le dépassement illégal des compétences » des ostéopathes non professionnels de santé. Parmi ses craintes, figurent « l’instauration d’un quota d’admission dans les instituts de formation d’ostéopathie dans un premier temps puis l’inscription de la discipline au code de la Santé publique ».
L’opposition est aussi très forte chez les médecins. « Le partage du titre d’ostéopathe entre médecins et non-médecins pose problème, souligne le Dr Corinne Le Sauder, présidente de l’Union des médecins ostéopathes (UMO), qui regroupe 3 syndicats. Les patients sont perdus. Une personne qui consulte ne sait pas qui elle va voir. Et des mutuelles remboursent des actes illégaux, réalisés par des ostéopathes exclusifs sans certificats médicaux ». Pour le Dr Le Sauder, les médecins et les kinésithérapeutes sont victimes d’une concurrence déloyale et sont démunis face à la force de communication des écoles.
« Nous sommes partisans de sortir de la situation actuelle par le haut en limitant le nombre d’écoles, en contrôlant la compétence des diplômés et en revoyant l’agrément des enseignants, explique le Dr Bruno Burel, président d’Ostéos de France. Les médecins ne doivent pas se recroqueviller et abandonner le titre d’ostéopathe. Ils maîtrisent mieux que tout autre l’ostéopathie sous toutes ses facettes et doivent en être les référents. »
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