À l’hôpital, faut-il parler d’un état de réforme permanente ou plutôt d’une adaptation permanente, selon la formule d’Annie Podeur, à la tête de la récente Direction générale de l’offre de soins (DGOS) lors de la réunion qui a clos à Paris un état des lieux dressé dans dix régions autour de la loi Hôpitaux, Patients, Santé et Territoires (HPST)*. En vingt ans, on ne recense pas moins cinq nouvelles lois qui ont fortement pesé sur l’activité au quotidien de l’hôpital. Pour autant, la crise paraît toujours devant nous. Alors que, dans le même temps, le secteur de la santé n’a cessé de croître dans le produit intérieur brut (PIB) de la France. « Il y a quarante ans, a rappelé Jean de Kervasdoué, il s’élevait à 5,7 % du PIB. Aujourd’hui, sa part grimpe à 11,3 %. La Suède a mieux réussi à contrôler ses dépenses de santé. Avec un taux de 6,3 % en 1970, il ne dépasse pas la barre des 9 % aujourd’hui. » Comment expliquer ces écarts ? En France, on hospitaliserait davantage que dans les autres pays, la faute à l’absence d’alternative réelle, aux réseaux ville-hôpital encore en nombre insuffisant en dépit des discours incantatoires. Comment dans ce contexte comprendre les enjeux de la loi HPST votée il y a un an, alors « que domine un sentiment de gravité et d’inquiétude », estime Didier Tabuteau, directeur de la chaire santé à l’École des sciences politiques, Paris. S’agit-il d’une grande réforme ? En tout état de cause, les ambitions affichées sont fortes. « Elle embrasse la totalité du champ de la santé, souligne Édouard Couty, conseiller à la Cour des Comptes ». C’est aussi une « illustration de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) », précise Annie Podeur, inspirée par les méthodes de management anglo-saxonnes. L’enjeu serait-il surtout économique ? « La loi n’est pas seulement guidée par le seul retour à l’équilibre financier, souligne Marie-Pierre Babel, directrice- adjointe de l’agence régionale de santé Île-de-France. C’est aussi le développement du parcours de soins, des coopérations en dehors des seuls établissements hospitaliers, l’exigence d’une démocratie sanitaire qui ne relèveraient pas seulement des experts, mais seraient aussi l’affaire des citoyens. L’ensemble de ces missions serait sous une autorité unique. C’est là un choix fondamental du législateur. C’est enfin la déclinaison régionale d’une politique nationale. »
Libération et reprise en main par l’État
En l’absence d’une unité thématique, la loi HPST serait-elle inspirée par une vision politique, celle d’étendre la décentralisation aux objectifs de santé ? Avec la fin d’un système où l’hôpital était géré par l’État, l’ambulatoire par l’assurance maladie. D’autant que même un élu de l’opposition, Jean-Marie Le Guen (député de Paris) défend le principe de la territorialisation des problèmes de santé. Là encore, rien n’est simple. « Deux mouvements s’opposent, diagnostique Édouard Couty. On observe à la fois une libéralisation du système traduite par l’idée de l’hôpital-entreprise. Mais dans le même temps, on assiste à une reprise en main par l’État, avec la mise en place d’une forte structure pyramidale. Comment s’articuleront ces deux mouvements contradictoires ? », se demande l’ancien directeur de la Dhos.
Les acteurs doivent faire vivre la réforme
Placées au cœur du dispositif, les ARS auront la redoutable charge de résoudre cette tension. Et certains observateurs nourrissent à leur égard un réel scepticisme. « Les ARS seront-elles alors armées pour faire du surmesure ?, s’interroge Alain Coulomb (consultant). Disposeront-elles de moyens suffisants pour accompagner financièrement les propositions innovantes ? Les ARS devront s’émanciper et se libérer peu à peu de leur corset. »
En tout état de cause, alors que les derniers décrets d’application de la loi devraient être publiés, il s’agit de faire aujourd’hui vivre la réforme. C’est désormais aux acteurs de s’en emparer. Et là encore, rien n’est gagné, notamment chez les médecins. Pour le président de la conférence nationale des CME, Alain Destée, domine la déception et le sentiment de perte, notamment d’influence et de pouvoir au sein des établissements hospitaliers : « La CME n’est pas même informée des projets de coopération ou des plans de redressement par exemple. Nous espérons que l’on redonne au corps médical la place qui est la sienne. » Le discours est encore plus frontal chez Michel Chassang, président de la CSMF, principal syndicat des médecins libéraux, qui parle d’étatisation du système de santé, qualifie le processus en cours de balkanisation de la profession médicale et dépeint un système conventionnel dépouillé de sa substance. Ce ton vif s’explique-t-il par la proximité des élections professionnelles programmées en septembre ?
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