Les chercheurs en informatique médicale avaient rendez-vous à Saint-Malo, du 4 au 7 mai, pour leur 18e Congrès européen MIE (Medical Informatics Europe). L'événement a mis en exergue les deux grandes orientations désormais prises par la recherche dans ce domaine : « Les apports de la notion de Web sémantique et le rapprochement de l'informatique médicale et de la bio-informatique », souligne le président du congrès, le Pr Pierre Le Beux, responsable du LIM (laboratoire d'informatique médicale) à Rennes, connu à la fois pour le développement de la base de données ADM (Aide au diagnostic médical) et pour son copilotage du chantier d'université médicale virtuelle francophone.
Le Web intelligent
Le Web sémantique est défini par Tim Berners-Lee, l'inventeur du WWW, comme le prolongement du Web d'aujourd'hui dans un Web « intelligent », où l'on saurait attribuer un sens aux documents, créer des liens entre diverses informations que des systèmes ne se contenteraient plus d'afficher, mais pourraient, par exemple, contribuer à l'automatisation de tâches. « Il y a cinq ans que Tim Berners-Lee a exposé sa conception au cours d'un congrès américain d'informatique médicale, raconte Pierre Le Beux, mais elle émerge seulement maintenant. »
En France, le patron du laboratoire rennais a d'ailleurs organisé, en mars dernier, la première journée « Web sémantique médical », avec plus de soixante-dix participants. D'ores et déjà, le relais est pris pour une deuxième rencontre, qui sera vraisemblablement organisée par Stefan Darmoni, à Rouen. Son L@boratoire des sciences et des technologies de l'information et de la communication en santé (Lastics) s'est en effet largement engagé dans cette direction, enchaînement naturel de ses travaux sur l'indexation automatique des données et la formalisation de la représentation de la connaissance médicale.
Quant au deuxième axe de la recherche de demain, il est symbolisé par la naissance du Lim&Bio (Laboratoire d'informatique médicale et bio-informatique) qui s'est installé au début de l'année sur le campus de Bobigny. « Son originalité tient moins à ses projets qu'à sa structure », commente Alain Venot, son directeur, venu de Cochin. Il rassemble en effet des hospitalo-universitaires - habitués à travailler sur l'exploration, l'extraction, la représentation et les modalités d' utilisation des connaissances médicales et des données du patient pour des systèmes interactifs d'aide à la décision - et des scientifiques, à l'instar de Jean-Daniel Zucker, codirecteur du laboratoire, qui s'investit notamment dans la fouille de données issues de puces ADN, en utilisant des méthodes de l'intelligence artificielle, qui devrait déboucher sur des outils de calcul de risques, dans l'obésité, par exemple (projet ObeLinks).
L'aide à la décision
A plus court terme, ce sont les projets Asti (pour Aide à la stratégie thérapeutique Informatisée) et P2VIE (Prévention et prise en charge du vieillissement et information électronique), coordonnés par le laboratoire de Bobigny, qui pourraient avoir des applications concrètes dans le système d'information de santé.
Commencée à la fin de 1999, la première étape de la recherche Asti s'est achevée en novembre dernier sur une étude d'acceptabilité en médecine générale. Un prototype d' aide à la décision dans le traitement médicamenteux de l'hypertension artérielle a été réalisé sur la base de la Banque Claude-Bernard et des recommandations de bonnes pratiques de l'Association médicale canadienne. Développé sous deux modes de fonctionnement : « guidé » (le médecin est conduit au fil d'un arbre de décisions) et « critique » (pour le contrôle de l'ordonnance au cours de son élaboration), le logiciel a été évalué par un panel de médecins de la SFTG (Société de formation thérapeutique du généraliste). Asti vient d'obtenir un financement de la CNAMTS, sur un an, qui permettra d'appliquer le système au diabète type II et de lancer une étude d'impact plus large. Objectif : comparer la qualité de prescription et de suivi chez les médecins qui se servent du module versus ceux qui ne l'utilisent pas.
Un carnet de santé électronique pour les seniors
La recherche P2VIE a commencé en 2000, précise Alain Venot, et la phase de spécifications est maintenant terminée. Il s'agit d'utiliser les technologies Internet, afin de mettre en uvre toutes les composantes d'un système d'information permettant d' améliorer la prise en charge des seniors : carnet électronique de santé, géré par le patient ou ses aidants, et interconnecté à un serveur d'informations sur les pathologies du vieillissement et leur prévention, ainsi que les structures de prise en charge. Le tout dans le cadre d'un système capable de lancer des alertes et de donner des recommandations, et avec la possibilité d'un accès nomade aux informations (téléphonie mobile).
La description « papier » de son fonctionnement est terminée, et le système est en cours de programmation chez Medcost, opérateur spécialisé de l'Internet médical, partenaire industriel du projet qui rassemble également le portail Vivre100ans, la Fondation nationale de gérontologie, la SFTG et le service d'informatique médicale de l'AP-HP.
Un programme de prévention-dépistage
Au SPIM (Santé publique et informatique médicale), le laboratoire de la faculté de médecine Broussais - Hôtel-Dieu dirigé par Patrice Degoulet et Joël Ménard, l'un des projets de recherche les plus aboutis concerne le programme Esper (Estimation personnalisée du risque), financé par la CANAM, et mené en collaboration avec le LERTIM (Laboratoire d'enseignement et de recherche en traitement de l'information médicale) du Pr Marius Fieschi à Marseille, le SC-8 de l'INSERM (service d[171]information sur les causes médicales de décès) et l'ANAES. « Nous entrons maintenant dans une phase d'évaluation avec des groupes de généralistes », indique Patrice Degoulet. « Nous avons choisi de construire ce serveur d'aide à la prévention sous la forme d'un site en accès libre, avec une partie statique, documentaire, et une partie dynamique, composée de modules de formulaires qui conduisent à l' estimation spécifique des risques de cancers et de maladies cardio-vasculaires, puis à l'individualisation des recommandations », explique Isabelle Colombet, chercheur au SPIM.
Un lexique médical unifié
Au STIM (Mission de recherche en Sciences et Technologies de l'Information Médicale de l'AP-HP), Pierre Zweigenbaum travaille actuellement sur la langue et la terminologie médicales. La France a en effet l'ambition - financée depuis l'automne dernier par le ministère de la Recherche - de constituer un lexique médical unifié (UMLF, pour Unified Medical Lexicon for French) qui fasse le pendant, dans notre langue, de l'UMLS américain promu par la National Library of Medicine.
« Ce lexique devrait être rendu public sur le Web fin 2004, pour les équipes de recherche, dans un premier temps, puis largement ouvert aux industriels trois ans plus tard », indique Pierre Zweigenbaum. Première étape du projet - auquel collaborent les laboratoires de Rouen, de Rennes, de Nancy, les hôpitaux universitaires de Genève et la société Vidal : compiler et rassembler les lexiques existants, puis décider d'un format commun. Ils seront ensuite complétés par une collecte de terminologie auprès de deux sources supplémentaires : des textes médicaux indexés sur le Web par Cismef (le catalogue du CHU de Rouen) et des comptes rendus d'hospitalisation. « Il s'agira d'une table de mots auxquels seront associés toutes les formes possibles (formes fléchies, catégories syntaxiques et morphosyntaxiques, dérivés...), », explique le chercheur. A terme, cette ressource lexicale facilitera recherche d'information, indexation et codage. Un exemple : "le lexique français devrait simplifier les requêtes sur Cismef qui décrit ses documents grâce au MeSh, le thésaurus de référence. Or un grand nombre de termes simples ne figurent pas dans ce Medical Subject Headings, à l'instar de « enfant asthmatique », précise Pierre Zweigenbaum.
Les outils mobiles en HAD
A Lille, le CERIM (Centre d'études et de recherche en informatique médicale), du Pr Régis Beuscart, est orienté de longue date vers les développements technologiques au service des réseaux de santé. Il pilote, depuis 2001, le projet COQUAS (Coordination pour la qualité des soins) qui consiste à mettre au point un système d'information adapté à l'hospitalisation à domicile, en intégrant tous les outils mobiles et les applications spécifiques. « Le prototype devrait être prêt à la fin juin, annonce Régis Beuscart. Il repose sur la notion d'agenda du patient, partagé par tous les professionnels de santé et travailleurs sociaux impliqués dans une HAD, dans la mesure où il est essentiel que tous les actes et interventions soient réalisés dans un certain ordre. » La recherche a donc porté à la fois sur la cohérence des documents de coordination - notamment en soins infirmiers - et sur la mise au point des prototypes d'ardoises électroniques et autres ordinateurs de poche.
« La France ne compte pas plus de deux cents chercheurs en informatique médicale, estime Régis Beuscart, qui est également chargé de mission auprès du ministre de la Recherche. Les plus gros laboratoires réunissent en effet une vingtaine de personnes. Mais ils sont très productifs si l'on fait le recensement de leurs travaux. » On peut noter que la création du RNTS (Réseau national technologies pour la santé) par les ministères de la Recherche et de l'Industrie, en 2000, leur a insufflé une nouvelle dynamique, non seulement par les financements désormais disponibles dans le cadre des appels à projets annuels, mais surtout parce qu'il a favorisé la collaboration entre les équipes françaises et la participation des industriels aux travaux de ces laboratoires.
L'ergonomie des nouvelles technologies
Le CERIM de Lille a inauguré, il y a deux mois, le premier laboratoire européen d'ergonomie et d'utilisabilité des TIC en santé, Evalab. Il a vocation à intervenir le plus en amont possible sur la conception des maquettes et le test en situation de travail des prototypes de logiciels et systèmes d'information. Ici, une vue de la salle de contrôle où, à travers les glaces sans tain, une psychologue ergonome observe et guide la situation d'évaluation. Le technicien, grâce à la régie, contrôle la capture audio-vidéo. Evalab a largement contribué à l'analyse préparatoire au projet COQUAS par exemple .
Pour en savoir plus
Quelques sites présentent les travaux des laboratoires d'informatique médicale
A Rennes : www.med.univ-rennes1.fr/
A Rouen : www.chu-rouen.fr/l@stics/home.html
A Bobigny : www.limbio-paris13.org/
Le SPIM : www.spim.jussieu.fr/
A Marseille : //cybertim.timone.univ-mrs.fr/CybErtim/LERTIM/Default.htm
A Lille : www.univ-lille2.fr/cerim/
Le projet P2Vie : www.p2vie.org/
Le projet Esper : www.hegp.bhdc.jussieu.fr/esper/
A propos du RNTS : //rnts.enst-bretagne.fr/index.php?PAGE=texte/Presentation_Description
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