L'EFFICACITÉ d'un traitement antidépresseur est conditionnée par de nombreux facteurs, ce qui nécessite de la part du praticien une vigilance constante, de façon à modeler sa prescription en fonction du profil de chaque patient. Pour le Dr Marie-France Poirier, il n'est pas inutile de rappeler, en premier lieu, l'importance de vérifier le diagnostic : seuls les épisodes caractérisés, dont les symptômes quasi constants, remplissant les critères DSM, durant depuis au moins 15 jours, justifient la mise sous antidépresseurs (1). De plus, il ne faut pas oublier de rechercher certaines causes organiques ou pharmacologiques. Il n'existe pas de bilan standard systématique pouvant être proposé, mais tout signe clinique d'alerte ou élément de l'interrogatoire évoquant une pathologie sous-jacente doit faire pratiquer un bilan.
Hépatite C et traitement par (peg) interféron alfa et ribavirine.
S'il est bien connu que des épisodes dépressifs peuvent s'associer à diverses pathologies neurologiques, comme une maladie de Parkinson, une tumeur cérébrale, etc., il existe en fait un grand nombre d'affections pouvant être à l'origine de symptômes dépressifs, de l'anémie aux maladies de système, en passant par les endocrinopathies. Certains traitements sont également parfois en cause. Ainsi, la mise en évidence de troubles de l'humeur survenant chez des malades traités par (peg)interféron alfa et ribavirine pour une hépatite C chronique a fait l'objet d'une mise au point récente de l'AFSSAPS (2). Ce terrain aussi bien que les événements de vie importants à l'origine de l'éclosion des symptômes dépressifs sont les premiers éléments à prendre en compte pour l'initiation et le suivi du traitement. Il faut encore savoir si le patient a déjà été traité pour un épisode antérieur et si ce médicament a été actif. Sauf effets secondaires importants ou apparition d'une pathologie somatique interdisant le renouvellement de la prescription initiale, il est en effet alors justifié de recourir à nouveau à cette même molécule. De plus, on sait que l'existence d'un ou de plusieurs antécédents dépressifs conditionne la durée du traitement, tout comme la notion d'un antécédent familial plaide plutôt pour un support biologique.
Un traitement à la carte.
Un autre élément susceptible d'orienter le choix de l'antidépresseur est la présentation clinique, qui peut être largement teintée par la tristesse, l'humeur dépressive, ou, au contraire, par l'irritabilité, l'anxiété. Certaines molécules apparaissent alors plus indiquées car plus stimulantes ou, à l'opposé, plus sédatives, mais en sachant que, là encore, il n'y a pas de recommandation standard, dans la mesure où les types d'effets diffèrent selon les patients. Même constat pour l'heure de la prise qui doit être individualisée, une même molécule pouvant, par exemple, entraîner une insomnie ou non, selon les individus, en cas de prise vespérale.
Quant à la posologie, elle doit bien sûr respecter les données de l'AMM. Cependant, le métabolisme peut différer d'un sujet à l'autre, parfois en raison d'un état somatique particulier et aussi de l'âge. En outre, même si cela n'a pas été formellement validé pour nombre d'antidépresseurs, les praticiens optent parfois pour une augmentation des posologies. Pour certaines molécules, notamment celles qui ont un effet-dose, comme la venlafaxine, il semble en effet qu'une augmentation des doses soit corrélée à un accroissement de l'efficacité. Et des études sont en cours avec plusieurs antidépresseurs déjà commercialisés afin de valider l'intérêt d'une telle pratique. Par ailleurs, dans certaines formes sévères ou résistant aux molécules initialement élues en raison de leur meilleure tolérance, il peut apparaître nécessaire de recourir à des produits réputés plus puissants et/ou d'action plus large comme les antidépresseurs d'action mixte ou les tricycliques, sans oublier l'apport des psychothérapies. Encore faut-il avoir vérifié que le patient prenait son éventuel traitement initial de façon correcte, en s'aidant, s'il le faut, d'un dosage plasmatique.
Le rôle essentiel de l'observance.
«Il n'est en effet pas rare que l'inefficacité thérapeutique ne soit en fait que la conséquence d'une mauvaise observance, en raison de l'apparition d'effets latéraux, par exemple», ou de l'ajout intempestif d'une autre molécule intérférant avec l'antidépresseur. Plusieurs études ont par ailleurs été publiées concernant des associations thérapeutiques, qui pourraient surtout permettre de réduire le délai d'action des antidépresseurs. Certains auteurs ont ainsi proposé l'adjonction de sels de lithium, d'un second antidépresseur, voire d'agonistes alpha non antidépresseurs.
Quelles que soient les stratégies choisies, pour le Dr Poirier, «l'information du patient apparaît capitale à toutes les étapes du traitement» car l'une des causes fréquentes d'inefficacité des antidépresseurs est le non-respect des règles de prescription par les patients et fréquemment par ignorance. Bien expliquer au malade, ainsi qu'à son entourage, que des effets secondaires peuvent survenir, en particulier en début de traitement, de quels types ils sont et comment les minimiser ; qu'il existe un délai d'action incompressible de 4 à 6 semaines et que le traitement ne doit pas être arrêté avant 4 à 6 mois, voire davantage s'il s'agit d'une récidive ; signaler que des coprescriptions d'apparence anodine (pansements gastriques, par exemple) peuvent retentir sur l'action de l'antidépresseurs, sont des clés essentielles du succès thérapeutique.
D'après un entretien avec le Dr Marie-France Poirier, psychiatre, directeur de recherche, centre hospitalier Sainte-Anne, Paris.
(1) « Bon usage des médicaments antidépresseurs dans le traitement des troubles dépressifs et des troubles anxieux de l'adulte - Recommandations ». AFSSAPS, octobre 2006.
(2) « Évaluation et prise en charge des troubles psychiatriques chez les patients adultes infectés par le virus de l'hépatite C et traités par (peg)interféron alfa et ribavirine ». AFSSAPS, mai 2008.
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