DIS-MOI COMBIEN tu gagnes et comment tu vis, seul ou en couple, je te dirais si tu bois. C'est dans cet esprit que le Dr Laure Com-Ruelle (santé publique), chercheur à l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES), assistée d'un économiste et de statisticiens, a conduit une enquête sur les liens entre alcoolisation excessive et catégories socio-économiques. Chez les femmes, le risque ne semble patent que pour les cadres. Dans la population masculine, il concerne les ouvriers comme les cadres, et moins fréquemment les employés.
D'après les seuils définis pour l'alcoolisation excessive (6 verres ou plus en une même occasion, plus de 14 par semaine pour les femmes ou 21 pour les hommes), plus d'un Français sur dix présente un risque chronique et trois sur dix un risque ponctuel. Pour les Françaises, les proportions sont de 2 % et de 10 %.
Un homme de 25-64 ans sur deux est un buveur à risque.
L'usage à risque est fréquent chez les 25-64 ans, puisqu'il concerne un homme sur deux. Le risque ponctuel, fréquent entre 25 et 44 ans, diminue ensuite progressivement. Outre l'âge, le fait de vivre seul ou non a son influence. Les femmes, comme les hommes, qui vivent en couple sont moins à risque que les célibataires. Ce résultat plaide en faveur d'un effet protecteur de la famille, mais il peut aussi «suggérer une influence des comportements à risque sur le fait de vivre seul plutôt qu'en famille», commentent les auteurs. En outre, l' «effet protecteur familial» disparaît si l'un des conjoints présente un usage d'alcool à risque.
Autre facteur, les catégories socio-économiques. Chez les femmes, les cadres se distinguent plus souvent par une consommation excessive, de même qu'elles fument davantage. «Fortes responsabilités, environnement plutôt masculin, occasions de convivialité et moindre aversion au risque», éclaireraient l'alcoolisation au féminin. Côté hommes, le phénomène n'épargne pas les cadres, mais il s'étend aux artisans, aux commerçants, aux chefs d'entreprise, aux ouvriers et aux agriculteurs, les employés étant moins exposés.
Par ailleurs, les Français ayant une activité de type associatif et ceux «bénéficiant d'un soutien émotionnel de leur entourage» se révèlent plus buveurs que les «isolés», «en raison sans doute d'occasions plus nombreuses de convivialité». Les travailleurs manquant d'autonomie au travail seraient, pour leur part, plus protégés de l'alcool que les individus pouvant «influer sur le déroulement de leur travail».
Pour les femmes, la non-consommation est plus répandue dans le Centre-Est et dans la région Méditerranée, l'alcoolisation excessive ayant pour terre le nord de la France et le risque chronique le sud-ouest. Avec les hommes, l'abstinence déclarée caractérise l'Ile-de-France, le Nord, l'Est, le Centre-Est et PACA, la consommation à risque chronique se concentrant dans le Nord, le Sud-Ouest, l'Ouest et le pourtour méditerranéen. Quel que soit le sexe, l'alcoolisation excessive reste maximale dans le Nord. A propos des abstinents – dont les déclarations «peuvent être entachées de sous-estimation, voire d'une part de déni» –, les enquêteurs notent qu'ils se recrutent majoritairement dans les ménages à bas revenus, chez les chômeurs, les personnes ayant un faible niveau d'éducation, les étudiants et autres non-retraités sans emploi, les ouvrières et les agricultrices. Cela s'expliquerait par le coût des boissons, l'influence de l'état de santé ou encore des variables d'ordre culturel ou religieux. Pour autant, si des hommes et des femmes aux épisodes de vie précaires sont plus fréquemment non consommateurs d'alcool, ceux d'entre eux qui tombent dans la boisson le font sur le mode chronique plus que ponctuel.
«En dépit de ses limites, l'enquête montre clairement l'importance des problèmes d'alcool en France et identifie les facteurs socio-économiques associés aux risques», soulignent les auteurs. Elle pourrait aider à l'actualisation de la politique de santé publique visant à réduire l'usage immodéré des boissons alcooliques.
> PHILIPPE ROY
« Questions d'économie de la santé », n° 129, janvier 2008, ww.irdes.fr.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature