Indépendamment du tabac et de l'alcool

L'infection orale par le Papillomavirus liée au cancer de l'oropharynx

Publié le 10/05/2007
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DE NOTRE CORRESPONDANTE

«IL RESSORT de notre étude que l'infection orale par le HPV est un facteur de risque important pour le cancer de l'oropharynx», souligne pour « le Quotidien » le Dr Maura Gillison (Johns Hopkins Medical Institutions, Baltimore). «Les médecins doivent savoir que ces cancers surviennent aussi chez des personnes qui ne fument pas et ne boivent pas. »

«Par ailleurs, la plupart des cancers oropharyngés dans notre étude sont survenus chez des hommes. Par conséquent, l'infection par le papillomavirus est une préoccupation autant pour les hommes que pour les femmes. »

Maura Gillison ajoute qu'il faut toutefois être rassurant : «Le cancer oropharyngé est relativement rare et la grande majorité des personnes infectées par voie orale par le HPV n'auront probablement pas ce cancer.»

Les Papillomavirus humains (HPV) infectent les cellules épithéliales de la peau ou des muqueuses. Une dizaine de Papillomavirus humains oncogènes (notamment HPV16 et HPV18), sexuellement transmissibles, provoquent le cancer du col de l'utérus.

Ces HPV sont également associés à d'autres cancers (oral, anal, vaginal, pénien, et vulvaire), mais leur rôle dans ces cancers est moins certain : on peut détecter le HPV oncogène dans une fraction des cancers de la tête et du cou, mais une preuve moléculaire d'un rôle causal n'a pu être apportée que pour le cancer de l'oropharynx, dans lequel on a pu montrer l'expression des oncogènes viraux (E6 et E7).

Certaines études-témoins récentes ont suggéré que le HPV pourrait constituer un facteur de risque indépendant pour les cancers de l'oropharynx.

Une étude cas-témoins, de D'Souza, Gillison et coll., apporte de nouvelles données confirmant l'association entre le HPV et certains cancers de l'oropharynx.

Cette étude porte sur 100 patients (86 hommes, 14 femmes) chez lesquels a été diagnostiqué récemment un cancer de l'oropharynx (amygdales, base de la langue, paroi postérieure de l'oropharynx et voile du palais) et 200 sujets témoins non affectés (tous des sujets vus à l'hôpital Johns Hopkins).

Rinçage de bouche, grattage par écouvillon.

Les investigateurs ont recherché des signes d'exposition antérieure ou d'infection par le HPV dans le sang et la bouche (rinçage avec solution saline et cinq à dix grattages par écouvillon).

Les participants ont également répondu à un questionnaire autoadministré, évaluant les pratiques sexuelles et d'autres facteurs de risque connus du cancer oropharyngé, comme la consommation de tabac et d'alcool, une histoire familiale de cancer des voies aérodigestives supérieures et un mauvais état bucco-dentaire.

L'étude montre que le cancer oropharyngé est fortement associé à l'infection orale par le HPV16 (risque 14 fois plus grand de développer ce cancer) ainsi qu'à l'infection avec l'un des 37 types d'HPV (OR = 12).

En outre, ceux qui ont été exposés antérieurement à l'HPV16 (séropositivité pour la capside L1 du HPV16) ont 32 fois plus de risque de développer un cancer oropharyngé (OR = 32 ; IC 95 % : de 14,6 à 71,3).

Ces risques sont bien plus élevés que le risque (multiplié par trois) pour les fumeurs, et le risque (multiplié par 2,5) associé à la consommation d'alcool.

De façon surprenante, l'étude n'a pas trouvé d'effet synergique entre l'exposition au HPV et la consommation de tabac et d'alcool. Cela suggère qu'il pourrait exister deux voies distinctes pour le développement du cancer oropharyngé : l'une gouvernée principalement par les effets cancérogènes du tabac et/ou de l'alcool, l'autre par l'instabilité génomique induite par le HPV.

L'examen pathologique révèle la présence de l'HPV16 dans 72 % des cancers oropharyngés, et 64 % des patients cancéreux sont séropositifs pour l'oncoprotéine E6 ou E7 de l'HPV16.

Comportements sexuels à risque.

Les comportements sexuels à risque sont associés au cancer oropharyngé. Le cancer oropharyngé est associé au nombre de partenaires pour des rapports sexuels vaginaux (plus de 26 partenaires : trois fois plus de risque de développer le cancer) ou de partenaires pour des rapports sexuels oraux (plus de 6 : risque accru d'un facteur 3,4).

Les mécanismes de l'infection par le Papillomavirus restent toutefois incertains. L'étude suggère que l'infection orale survient après contact sexuel oro-génital, mais la possibilité d'une transmission par contact direct de bouche à bouche ou par une autre voie ne peut être exclue.

«Maintenant que l'association entre certains cas de cancer oropharyngé et l'infection par le HPV semble être fermement établie», note dans un éditorial le Dr Stina Syrjanen (université de Turku en Finlande), «la question se pose de savoir s'il faut dépister l'infection orale ou oropharyngée par le HPV dans les groupes à risque (fumeurs et buveurs) ».

«De plus, nous devons étudier comment traiter les lésions néoplasiques intraépithéliales HPV-positives, qui sont précancéreuses, dans la région de la tête et du cou.»

«Enfin, il faut évaluer la possibilité que certains cancers oraux, oropharyngés et laryngés, puissent être prévenus par la vaccination anti-HPV.» C'est l'un des futurs objectifs du Dr Gillison et de son équipe.

D'Souza et coll. « New England Journal of Medicine », 10 mai 2007.

> Dr VERONIQUE NGUYEN

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8164