«LE PROGRÈS quoi?» Si la plupart des gens, lorsqu'on les interroge, se posent la question de savoir ce que peut bien être le progrès incrémental, il n'y a pas d'inquiétude à avoir. Car, comme l'explique très bien Alain Rey, éminent linguiste et philologue, «peu de personnes sont au clair avec l'acception de l'incrément». Emprunté à partir du XVe siècle au latin incrementum, ce mot désignait de manière métaphorique la lente croissance des végétaux qui nourrissaient l'humanité. Puis Newton reprit à son compte l'incrément pour parler de petits progrès dans le domaine des mathématiques, avant que Voltaire ne le fasse entrer dans le langage courant. Usité à partir des années 1970 dans le milieu des sciences, comme en informatique, où l'on parle d'algorithme incrémental, ou encore en économie et en pharmacologie, ce terme est employé principalement aujourd'hui dans le domaine de la recherche. Une notion nécessaire, selon M. Rey, afin de redonner à la médication une nature humaine et une application plus adaptée. «Cette recherche devrait finir par être reconnue, lorsque l'on verra qu'elle se fait par rapport au vécu du malade, a affirmé le linguiste. Car ce sont les petits progrès qui font les grandes avancées.»
L'amélioration de l'existence.
Pour le vice-président du CRIP, Stéphane Calmar, le progrès dans l'industrie pharmaceutique avance par «l'alternance de sauts technologiques et d'améliorations de l'existence de façon continue». Il différencie ainsi l'innovation radicale, rare mais ouvrant la voie à de grandes découvertes – comme ont pu l'être celles de la pénicilline, des antirétroviraux ou encore du vaccin contre le cancer du col de l'utérus – du progrès incrémental, dont l'objectif est d'améliorer les thérapeutiques existantes.
Le progrès incrémental pourrait ainsi apporter une réponse adaptée aux personnes âgées qui réagissent de façon différente aux traitements et chez qui le risque iatrogène peut augmenter avec la prise simultanée de plusieurs médicaments. Mais aussi aux enfants, en proposant des formes galéniques appropriées. «Il s'agit de traiter les pathologies, mais aussi tous les patients», assure M. Calmar, qui a également insisté sur l'importance de l'amélioration de la qualité de vie des patients qui ont besoin «d'une plus grande autonomie, d'une possibilité de traitement à domicile et d'une meilleure insertion socioprofessionnelle». Surtout, dans le cas des nombreuses pathologies chroniques et évolutives dont on ne guérit pas forcément et qui nécessitent une meilleure adaptation des traitements. «Certains cas de cancers ont été améliorés, voire guéris, grâce à la succession d'améliorations qui permettent au final des victoires thérapeutiques. C'est ça, le progrès incrémental.»
Le Pr Patrice Cacoub, interniste au groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière (Paris), a pour sa part su démontrer la pratique de l'incrément en milieu hospitalier à travers le cas du traitement de l'hépatite C. «Par l'amélioration de traitements antiviraux de plus en plus efficaces, on sait aujourd'hui guérir cette maladie», explique-t-il. C'est en ayant eu l'idée de doubler la dose du traitement, et par la suite d'y associer de nouvelles molécules en fonction du poids du patient, que l'on est arrivé à une majorité de réponses positives aujourd'hui. «L'interféron a représenté une rupture dans la recherche de traitements pour guérir de l'hépatiteC. Puis on a optimisé les molécules que l'on avait à notre disposition, jusqu'à ce que l'on atteigne une prochaine rupture», a conclu le Pr Cacoub.
Une reconnaissance nécessaire.
Le progrès radical et incrémental sont-ils indissociables ? Pour Marie-Laure Pochon, présidente du CRIP, la réponse est non. Ils sont même indispensables et complémentaires en apportant un vrai bénéfice au patient. Mais là où le bât blesse, selon Mme Pochon, c'est au niveau de l'évaluation de la commission de transparence des médicaments. «Jusqu'en 2003, les progrès étaient encouragés et reconnus. Aujourd'hui, le progrès incrémental rencontre un vrai problème de reconnaissance qui a des répercussions directes sur les prix», assure-t-elle. Toutefois, pour le Pr Jean-Claude Ameisen, président du comité d'éthique de l'INSERM, le principal débat se situe plutôt autour de la notion véritable de progrès. «Quand peut-on déclarer que l'accumulation de changements débouche sur un vrai progrès?» Jean-Claude Ameisen a fait le distinguo entre le progrès de la qualité de vie et le progrès thérapeutique, en insistant toutefois sur la notion de bien-être que la médecine est censée apporter aux patients. Par extension, il a abordé le sujet de l'incrément qualitatif que sont les moyens qu'une société peut apporter pour améliorer la qualité de vie des personnes vulnérables et qu'il a jugé insuffisant en France. Même si, in fine, «le progrès consistant en un franchissement de seuils, on ne peut se rendre compte qu'il s'agit d'un vrai progrès tant qu'on ne l'a pas franchi».
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