QUELLE RÉFORME pour la biologie libérale et hospitalière ? C'est à cette question que les trois groupes de travail qui se réunissent depuis le mois de janvier au ministère de la Santé doivent s'efforcer de répondre.
Conduits à la demande de Roselyne Bachelot par le Dr Michel Ballereau, conseiller général des établissements de santé, les travaux doivent s'achever aujourd'hui. Le rapport final sera présenté aux membres des groupes le 16 juillet et la remise de la « copie » au gouvernement est prévue pour la fin juillet. Il reviendra ensuite à la ministre de la Santé de trancher pour inscrire cette réforme de la biologie dans sa fameuse loi Santé, patients et territoire dont on sait que le cinquième chapitre concernera la biologie médicale. Il est vrai que pour le gouvernement le temps est compté. La commission européenne demande depuis des mois une modification de la législation française pour permettre, sans restriction aucune, l'entrée de capitaux extérieurs à la profession dans les sociétés d'exercice libérales (SEL). Aujourd'hui, la réglementation n'autorise la participation de ces capitaux qu'à hauteur de 25 % au grand dam de puissants groupes financiers. L'objectif de cette concertation consistait donc à étudier le moyen, tout en respectant les consignes de Bruxelles, de maintenir l'indépendance de la biologie de proximité française. Quadrature du cercle.
«Nous voulons, dit sans grande conviction un responsable de la biologie, éviter l'arrivée massive et sans contrôle de financiers.» Un scénario qui a peu de chance de se réaliser, tant la pression européenne est forte. Mais un compromis ne saurait être écarté.
Ainsi, les biologistes libéraux auraient-ils proposé au sein du groupe de travail qui planche sur ce dossier qu'il soit fait obligation au financier ou à l'industriel qui prend la majorité d'une SEL de ne pas céder ses parts avant un laps de temps bien défini, afin de ne pas déstabiliser le laboratoire et de ne pas faire de la biologie un secteur de spéculation. «Comme c'est le cas aujourd'hui pour l'hospitalisation privée», accuse un biologiste. Certains responsables de la profession souhaiteraient ainsi obliger les financiers à garder pendant une période de dix ans leur participation. Une proposition qui n'aurait pas été rejettée par Michel Ballereau. Reste à connaître la position de l'Europe sur cette clause spécifique.
Le problème de l'accréditation.
Autre demande de la profession : que la gestion médicale du laboratoire reste aux mains des professionnels de santé et que les capitalistes qui investissent dans le laboratoire ne puissent décider des orientations médicales en fonction de leurs intérêts. «Que je sache, explique un biologiste, un actionnaire d'une société ne la gère pas.» Reste que l'on imagine mal un investisseur qui détient la majorité du capital d'une société ne pas s'occuper de la politique qui y est menée. «C'est pour cette raison que nous disons que la réforme est dangereuse», explique notre interlocuteur.
La proposition d'un autre groupe de travail d'obliger tous les laboratoires d'analyses à se faire accréditer inquiète aussi nombre de biologistes. Si le principe n'est pas formellement combattu – les biologistes, disent-ils, ont toujours montré le chemin s'agissant des contrôles de qualité –, la crainte est forte que cette accréditation obligatoire, sur cinq ans semble-t-il, ne signe la mort d'un certain nombre d'entreprises qui ne pourront pas assurer financièrement le coût, a priori très élevé, de cette accréditation. «Alors même que la rentabilité des entreprises va se dégrader, ne serait-ce que par la baisse des tarifs, on va leur demander d'investir davantage. Ce n'est pas tenable; c'est une sélection par l'argent qui ne veut pas dire son nom», accuse un syndicaliste. Des responsables ordinaux mettent aussi en avant le fait que, concernant les médecins, on créerait une véritable discrimination entre les médecins biologistes, sommés de se faire accréditer, et les autres spécialistes qui ne seront pas formellement soumis aux mêmes contraintes, même en prenant en considération le processus de l'évaluation des pratiques professionnelles.
Le dernier groupe de travail traite de la maîtrise médicalisée des dépenses. L'objectif est d'arriver à ce que le volume des analyses médicales prescrites par le médecin baisse sensiblement. C'est pourquoi des actions concertées avec les prescripteurs seraient mises en place afin que soient élaborées des recommandations. Pour l'instant, quelques pistes ont été tracées : examens thyroïdiens ; bilans lipidiques ; marqueurs pancréatiques ; bilans d'anémies ; recherche du diabète… Un processus qui avait d'ailleurs été engagé par la profession il y a quelques années, mais qui n'a pas été réellement appliqué. Le gouvernement souhaite qu'il n'en soit pas de même demain.
Mais, pour les biologistes, l'enjeu de l'indépendance financière de la profession est la préoccupation première. « L'enjeu, disent-ils, dépasse largement l'avenir de la biologie, car, au-delà, c'est tout le secteur de la santé qui est visé par les financiers et les investisseurs, qui sont tout particulièrement intéressés par le projet du gouvernement de multiplier les maisons de santé pluridisciplinaires dans lesquelles ils sont également disposés à mettre leurs capitaux.» Un danger qui a été récemment mis en évidence par l'Ordre des médecins et les responsables des quatre principaux syndicats médicaux, pour une fois unis : tous alertaient ensemble (« le Quotidien » du 5 juin) le Parlement et le gouvernement sur la nécessité de «protéger le secteur de la santé des appétits des financiers». La loi Bachelot, qui sera discutée à l'automne, donnera sans doute lieu à d'épiques débats sur bien des points au Parlement. Le chapitre sur la biologie ne fera pas exception à la règle, même si d'ici là tous les lobbyings, d'un coté comme de l'autre, pourront s'en donner à coeur joie.
> JACQUES DEGAIN
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