NUL N’IGNORE les craintes qu’a suscitées, en matière de santé publique, l’épidémie d’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) qui a sévi au Royaume-Uni. Toutefois, les estimations varient fortement en ce qui concerne l’ampleur de l’épidémie liée au nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (nvMCJ), d’autant que l’on n’a pu encore déterminer avec précision les effets exercés par les facteurs génétiques sur la période d’incubation. Ces incertitudes ont conduit les chercheurs à s’intéresser au kuru, qui demeure à ce jour l’unique exemple de maladie à prion revêtant un caractère épidémique majeur.
Cannibalisme rituel.
Le kuru est une affection qui a sévi en Papouasie - Nouvelle-Guinée jusqu’en 1974, principalement dans la peuplade des Foré qui avait pour coutume de dévorer ses défunts en témoignage de respect. Les autorités australiennes ont mis fin à ce cannibalisme rituel dans les années 1950, rompant ainsi la pérennisation de la contamination. L’affection touchait essentiellement les femmes et les enfants, qui consommaient le cerveau du mort, alors que les hommes dévoraient les muscles. Le tableau clinique était celui d’un syndrome cérébelleux évoluant inéluctablement vers la mort (le rite funéraire anthropophage assurant, par là même, la propagation de la maladie au sein de la communauté).
John Collinge et coll. de l’University College (Londres) ont étudié onze patients atteints de kuru. Considérant que le plus jeune de ces sujets était né en 1959, les auteurs ont estimé que la transmission de l’infection du fait de l’anthropophagie rituelle avait dû cesser vers 1960. Ils en ont déduit que la période minimale d’incubation correspondait au temps écoulé de 1960 à la date d’apparition des premiers signes de la maladie chez les individus considérés, et ont ainsi pu établir que ladite période était comprise entre trente-quatre et quarante et un ans.
Dans le cas des hommes, une estimation plus précise a été effectuée, ayant conduit à retenir des durées d’incubation variant de trente-neuf à cinquante-six ans. En effet, chez les Foré, lorsque les garçons sont âgés de 6 à 8 ans, ils quittent leur mère pour aller vivre dans la case commune des hommes. A l’époque où le cannibalisme rituel était encore en vigueur, ces jeunes garçons étaient donc exposés au même risque réduit que les hommes adultes, puisqu’ils ne consommaient plus le cerveau des défunts. Les auteurs en ont ainsi conclu que, dans leur cohorte, la plupart des hommes atteints de la maladie l’avaient contractée durant leur enfance.
Un profil génétique particulier.
Les auteurs ont, en outre, analysé l’ADN génomique de leurs onze patients afin d’établir la séquence de codage complète du gène PRNP de la protéine prion (PrP). Cette analyse a révélé que la plupart de ces sujets étaient hétérozygotes pour le polymorphisme du codon 129, un génotype rendant compte de périodes d’incubation prolongées et d’une résistance à l’infection par prion. Pour J. Collinge, chez les individus infectés par le prion de l’ESB, du fait des effets liés à la barrière d’espèce, la durée d’incubation avant apparition des premiers signes de nvMCJ pourrait être encore plus longue que celle observée chez leurs sujets atteints de kuru et excéder cinquante ans. De plus, l’épidémie de nvMCJ pourrait être polyphasique, ce qui signifierait que les récentes estimations concernant son ampleur seraient notablement en dessous de la réalité.
Collinge J et coll. « Lancet » 24 juin 2006.
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