Le renforcement de la surveillance épidémiologique est l'un des premiers objectifs du Plan cancer. L'enjeu est de mieux connaître l'évolution des cancers pour affiner les stratégies de prévention et de prise en charge. Le rapport que rend public l'Institut national de veille sanitaire (InVS) devrait y contribuer. Il actualise les travaux d'incidence nationale déjà publiés et qui portent sur les périodes 1978-1982, 1983-1987 et 1975-1995, et présente les données de l'année 2000, ainsi que leur évolution entre 1978 et 2000.
« La publication et la diffusion sont essentielles, et je me réjouis de la collaboration engagée en ce sens entre les registres, le département de biostatistique des Hospices civils de Lyon (HCL), le CépiDC-INSERM et l'InVS. Ces collaborations seront amenées à se développer et devraient permettre la mise à disposition prochaine des cancers spécifiques à l'enfant », y affirme le Pr Gilles Brücker, directeur général de de l'Institut de veille sanitaire.
Dans ce travail ont été mobilisés 9 registres « généraux » dédiés à la collecte d'informations sur l'ensemble des tumeurs malignes d'un département spécifique (Bas-Rhin, Calvados, Doubs, Haut-Rhin, Hérault, Isère, Manche, Somme, Tarn) et 6 registres « spécialisés », ne recensant que les cancers digestifs (Côte-d'Or, Saône-et-Loire et Calvados), les cancers du côlon-rectum et du sein (Loire-Atlantique), les pathologies hématologiques (Côte-d'Or) et les cancers thyroïdiens (Marne et Ardennes). En 2000, ces registres, qui ont été mis en place à des dates différentes, ne couvraient qu'une partie du territoire, de 13,5 à 16 % de la population française. L'originalité de ce travail réside dans la méthode employée pour évaluer l'importance de la pathologie cancéreuse. Elle repose non seulement sur l'estimation de l'incidence et de la mortalité en population générale, mais également sur une modélisation du rapport incidence/mortalité qui tient compte des variables d'ajustement, telles que l'âge, le sexe et la cohorte de naissance.
Le rapport de 217 pages présente les résultats de l'année 2000, en nombre de cas estimé pour vingt-cinq localisations cancéreuses, dont quatre sont spécifiquement féminines (sein, col de l'utérus, corps de l'utérus et ovaire). Seul le cancer de la prostate est spécifique à l'homme (le cancer du testicule fera l'objet d'une publication séparée). Les localisations choisies l'ont été en fonction de leur fréquence ou de leur accessibilité à la prévention. Chacune fait l'objet d'une fiche thématique avec les tendances évolutives, selon la cohorte et selon le moment du diagnostic, pour la période 1978-2000.
280 000 nouveaux cas
Au total, pour l'année 2000 et pour les deux sexes, le nombre de nouveaux cas est estimé à 280 000, dont 58 % chez l'homme. Cependant, la localisation la plus fréquente est le cancer du sein (42 000 cas), devant le cancer de la prostate (40 000 cas), les cancers colo-rectaux (36 000 cas) et les cancers du poumon (près de 280 000 cas). Parallèlement, 150 000 décès ont été recensés, qui surviennent, là encore, plus fréquemment chez les hommes (61 %). « Tous genres confondus, le cancer le plus fréquent est le cancer du sein. En revanche, le premier "tueur" reste le cancer du poumon, suivi par le cancer colo-rectal. »
L'interprétation de ces deux types de données suggère que les cancers sont, chez l'homme, « de plus mauvais pronostic ». Ils constituent d'ailleurs la première cause de mortalité masculine (32 % des décès), et, chez la femme, ils n'arrivent qu'en deuxième position (23 %). La part relative des années potentielles de vie perdues par cancer entre 1 et 64 ans, indicateur qui permet d'évaluer la mortalité prématurée, est restée stable chez l'homme par rapport aux données de 1999 (23 %) et en légère diminution chez la femme (32 % contre 33 %). Entre 1990 et 1999, cette part était en diminution chez l'homme et en augmentation chez la femme.
Chez l'homme, les cancers de la prostate, du poumon et les cancers colo-rectaux sont responsables de 45 % des décès, alors qu'ils représentent la moitié des tumeurs. Chez la femme, les cancers du sein (32 %) et colo-rectaux ne sont responsables que du tiers de la mortalité féminine, alors qu'ils représentent, eux aussi, 50 % des cancers. Le cancer du poumon devient la troisième cause de la mortalité féminine.
Divergence entre incidence et mortalité
Selon les auteurs du rapport, le poids des maladies cancéreuses pour la santé publique s'est considérablement modifié durant les vingt-cinq dernières années, à la fois quantitativement et qualitativement. Le fait marquant est la « forte divergence entre l'évolution de l'incidence et celle de la mortalité ». Entre 1980 et 2000, le nombre de cancers a augmenté de 63 %, mais le nombre de décès n'a progressé que de 20 %. Là encore, il existe de notables différences entre les sexes, avec 66 % d'augmentation chez l'homme, contre 60 % chez la femme.
Davantage de cancers de bon pronostic
Ni la croissance démographique ni le vieillissement n'expliquent totalement cette hausse.
Les cancers de la prostate et du sein sont ceux dont l'incidence s'est le plus élevée, alors que la mortalité liée à ces deux types de tumeur est restée stable. La décroissance relative de la mortalité masculine est essentiellement due à la diminution des tumeurs des voies aériennes digestives supérieures, de l'sophage et des tumeurs de l'estomac. Dans l'autre sexe, la chute de la mortalité est plus dispersée : aucun cancer, excepté celui de l'estomac, ne diminue de plus de 3 cas pour 100 000.
« Il serait tentant d'attribuer la divergence entre incidence et mortalité aux progrès thérapeutiques. Malheureusement, ils ne jouent qu'un rôle modeste dans cette évolution, même si ces progrès sont bien réels », notent les auteurs. « La raison essentielle de cette divergence est le remplacement de cancers de pronostic médiocre par des cancers de bon à très bon pronostic. La recherche systématique des tumeurs (prostate et sein) ou leur découverte fortuite grâce à une utilisation de plus en plus fréquente de système d'imagerie sophistiqué (thyroïde) ont fortement contribué à cette évolution. »
L'observation des évolutions ultérieures, grâce aux méthodes utilisées dans ce travail (les études de mortalité seules ne sont pas suffisantes), devrait permettre de tirer des conclusions plus approfondies : « Si on a simplement anticipé le diagnostic de certaines tumeurs, on devrait voir l'incidence de ces cancers diminuer. Si cette découverte anticipée était utile, on devrait voir la mortalité diminuer », affirme en conclusion le rapport.
Un colloque et un site
L'Institut de veille sanitaire organise aujourd'hui à Paris, avec le réseau Francim, l'INSERM, le CIRC et l'institut Curie, un colloque intitulé « Surveillance épidémiologique des cancers : état des lieux, enjeux et perspectives ».
Un espace Internet dédié à la surveillance du cancer est lancé à cette occasion. Il est ouvert à partir d'aujourd'hui à l'adresse www.invs.sante.fr/display/?doc=surveillance/cancers.
Un numéro thématique du « BEH »
Le numéro double (41-42) du « Bulletin épidémiologique hebdomadaire » (BEH), qui paraît aujourd'hui, est tout entier consacré à la surveillance du cancer. On y trouve notamment des comparaisons européennes de mortalité. Les hommes français ont le taux de décès par cancer le plus élevé des pays de l'UE, supérieur de 50 % à celui de la Suède et de 20 % à celui du Royaume-Uni. Les cancers des VADS, du foie et du poumon en sont en majorité responsables. Les femmes françaises se distinguent, elles, par la progression la plus rapide des taux de décès par cancer du poumon. Selon une projection, publiée également dans ce « BEH », le nombre de décès annuels pourrait passer de 4 500 en 2000 à 11 800 en 2019.
La France est aussi en tête, à égalité avec l'Espagne, pour l'écart entre taux de décès masculins et féminins (taux 2,2 fois plus élevé chez les hommes). Une situation liée en grande partie à la consommation excessive d'alcool et au tabagisme, soulignent à nouveau les auteurs.
L'étude sur la survie des patients cancéreux (Eurocare, période 1990-1994) montre, en revanche, un avantage pour les Françaises face au cancer du sein (plus de 79 % de survie à cinq ans, contre 75 %, en moyenne), en liaison avec la précocité du diagnostic.
Nombre annuel de nouveaux cas et de décès |
||||||
1980 | 1990 | 2000 | ||||
H | F | H | F | H | F | |
Lèvres-bouche-pharynx | 12 795 5 341 |
1 384 588 |
12 798 4 736 |
1 807 649 |
12 990 4 341 |
2 398 749 |
OEsophage | 4 984 4 786 |
473 608 |
4 491 4 172 |
656 647 |
4 040 3 724 |
928 710 |
Larynx | 4 365 3 874 |
299 177 |
4 147 2 764 |
325 170 |
3 865 1 968 |
361 166 |
Poumon | 16 395 15 473 |
1 629 1 997 |
19 315 18 469 |
2 703 2 873 |
23 152 22 649 |
4 591 4 515 |
Foie | 1 544 2 534 |
412 1 150 |
2 836 4 033 |
628 1 346 |
5 014 6 287 |
962 1 563 |
Prostate | 10 856 6 979 |
19 499 8 790 |
40 309 10 004 |
|||
Sein | 21 211 8 629 |
29 617 10 059 |
41 845 11 637 |
|||
Mélanome de la peau | 777 318 |
1 476 348 |
1 543 480 |
2 415 484 |
3 066 704 |
4 165 660 |
Lymphome malin non hodgkinien | 2 101 989 |
1 833 793 |
3 403 1 661 |
2 866 1 505 |
5 527 2 664 |
4 381 2 579 |
Total cancers | 96 819 75 264 |
73 358 49 880 |
119 689 82 175 |
91 384 53 521 |
161 025 92 311 |
117 228 57 734 |
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