LES EXPERTS l’avaient prédit, la lèpre n’allait pas faire de vieux os. Bientôt, elle appartiendrait aux livres d’histoire. Seulement voilà, en ce début de XXIe siècle, il semblerait que la maladie en ait décidé autrement : malgré la guérison de 14 millions de patients en vingt-cinq ans, les nouveaux cas détectés continuent de se maintenir à des taux beaucoup trop élevés pour espérer une disparition de la maladie (650 000 cas traités en 2002, selon l’Organisation mondiale de la santé). La fondation Raoul-Follereau, qui s’est érigée depuis 1954 en championne de la cause des lépreux, rappelle lors d’une 53e Journée mondiale que «la lèpre fait de la résistance».
Dépistage précoce.
Parmi les causes invoquées, l’insuffisance du dépistage arrive en première ligne. Le Mycobacterium leprae, ou bacille de Hansen, a une période d’incubation variant de trois à cinq ans et qui atteint parfois vingt ans. Les malades sont contagieux bien avant d’avoir des symptômes visibles, et lorsque la lèpre s’installe, beaucoup la cachent pour éviter l’exclusion sociale.
En l’absence de vaccin, le seul moyen d’arrêter la contagion est le dépistage précoce. Selon le Pr Stewart Cole, directeur de l’unité de génétique moléculaire bactérienne de l’Institut Pasteur, il serait peu réaliste de le faire systématiquement, mais si l’on cible les populations à risque (qui ont été en contact avec des malades, par exemple), la maladie pourrait régresser de façon appréciable.
En effet, le traitement existe – sous forme de polychimiothérapie (PCT) antibiotique depuis 1981 – et permet de guérir en six mois la forme paucibacillaire, en douze mois, la forme multibacillaire, plus grave et plus contagieuse. Il est gratuit pour les patients, même si certaines zones « rouges » demeurent difficiles à couvrir du fait de conflits armés ou de rupture des voies de communication. De plus, dès la première prise, le malade cesse d’être contagieux. «C’est une question d’organisation», affirme le Dr Augustin Guénédon, dermatologue et léprologue, conseiller médical de la fondation Raoul-Follereau et président de l’Association des léprologues de langue française (Allf). «Le temps moyen pour dépister une personne est de deux ans.»«La faiblesse du traitement réside dans sa durée», complète le Pr Cole, qui estime que la perspective d’un vaccin est très éloignée. «L’industrie pharmaceutique s’intéresse peu aux maladies comme la lèpre, pas assez rentables.» En attendant, l’Institut Pasteur travaille à la mise au point d’un nouveau test de dépistage inspiré des progrès réalisés dans le domaine de la tuberculose. Après deux études réalisées au Mali et au Bengladesh, le chercheur espère avoir «dans trois ou quatre ans un test fiable à proposer».
Précarité et tabous.
Avant tout, les membres de la fondation Raoul-Follereau souhaitent faire passer l’idée que «la lèpre est une maladie comme les autres». Stigmatisante, invalidante, elle entraîne aujourd’hui, par les images qu’elle véhicule tout comme par les séquelles qu’elle laisse, une forte exclusion sociale. Du passeport mentionnant « Caractéristiques : lépreuse » aux lois interdisant aux malades de se marier, sans parler des petites filles retrouvées emmurées vivantes ni des malades rejetés de leur village, les tristes exemples ne manquent pas et n’aident pas le dépistage. «Les gens fuient les handicapés qui ne sont plus contagieux, mais acceptent les malades contagieux», dont la maladie n’est pas visible, déplore le Dr Guénédon. «Certains disent “C’est parce que tu as volé que tu es malade”, ou “C’est parce que tu as mangé ceci”, il y a même des législations qui empêchent les lépreux de travailler.»
Il s’agit donc de faire connaître la lèpre pour ce qu’elle est : une maladie qui se soigne et peut ne pas laisser de séquelles si elle est traitée assez tôt. «La distribution de la lèpre correspond curieusement à la distribution de la cartede pauvreté à travers le monde», constate encore le Dr Guénédon, qui cite l’Inde, puis le Brésil, comme les deux pays «les plus endémiques», avant de rappeler que la France compte 146 cas dans ses DOM-TOM. Les membres de la fondation regrettent que les fonds destinés à la lutte contre la lèpre soient «concurrencés» par la médiatisation d’autres maladies, telles que le sida. Interrogé sur la possibilité de mutualiser les moyens, le Dr Guénédon estime que lorsque les pays concernés font une «supervision intégrée» (un suivi global) en santé, «les maladies comme la lèpre payent un lourd tribut» du fait du manque de formation des professionnels de santé et des tabous. «Si on ne fait pas de programmes spécialisés, cela ne marche pas», conclut-il. Pour Jehan-Michel Rondot, directeur de l’aide et des programmes Raoul-Follereau, «dans certains pays d’Afrique, toutes les conditions sont propices à un redémarrage de l’endémie lépreuse». Malgré son image moyenâgeuse, «la maladie est loin d’être éliminée».
Outre la fondation Raoul-Follereau (www.raoul-follereau.org), les oeuvres hospitalières françaises de l’Ordre de Malte (www.ordredemaltefrance.org) participent aussi à la Journée contre la lèpre.
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