QUELLES QUE SOIENT les responsabilités du président géorgien, Mikheil Saakachvili, dans la bataille qui l'oppose au Kremlin, la brutalité de Moscou, dont l'armée a détruit les infrastructures et occupe encore le territoire de la Géorgie, exigeait une riposte. On note d'abord que le scandale de cette invasion du plus faible par un pays cent fois plus fort n'a pas déclenché une fraction de l'indignation qu'ont soulevée les crises birmane et tibétaine. Comme si le régime russe, dont les méthodes sont encore plus inqualifiables que celle de Rangoon ou de Pékin, bénéficiait de l'indifférence, et même de l'indulgence des peuples. On remarque aussi que l'agression russe n'a pas eu d'impact majeur sur le prix de l'énergie, comme si personne n'imagine un tant soit peu une riposte militaire occidentale.
Les Américains, qui ont beaucoup irrité les Russes avec le bouclier antimissile qu'ils veulent installer en Europe centrale et en ouvrant des bases dans des pays limitrophes de la fédération russe, n'ont pratiquement pas réagi à la mise à sac de la Géorgie, un de leurs plus fidèles alliés ; les Européens, M. Sarkozy en tête, ont très vite essayé de mettre fin au désastre, mais se sont laissé duper par la mauvaise foi et le mensonge russes. La conclusion d'un accord sur le retrait russe il y a deux semaines n'a eu pour résultat que l'occupation pure et simple de la Géorgie par l'armée russe, laquelle n'a pas évacué à ce jour le territoire géorgien.
Terre brûlée.
Les Russes accompagnent leur politique de la terre brûlée et du fait accompli d'explications appuyées sur des faits réels (la provocaton géorgienne) et sur des mensonges (l'ampleur des exactions géorgiennes, en réalité sans commune mesure avec celles de la Russie).
Objectivement, les Russes ont commis un acte d'une gravité extrême qui justifierait des sanctions et même un boycottage commercial. Cet acte exige en outre une mise en demeure sur les intentions du Kremlin, qui n'a pas caché qu'il utiliserait les mêmes méthodes si d'autres pays voisins l'importunaient. La Russie a fait de la Géorgie un exemple susceptible d'être appliqué aux autres républiques situées à ses frontières, depuis l'Ukraine aux pays Baltes, en passant par le Kazakhstan et le reste du Caucase. Il ne s'agit donc pas seulement d'une guerre isolée et limitée dans le temps, il s'agit d'une stratégie géopolitique fondée sur le seul usage de la force. Et les Occidentaux n'auraient rien à dire ?
M. Saakachvili est payé pour savoir que les États-Unis n'ont même pas eu pour lui la reconnaissance du ventre : il avait dépêché deux mille hommes en Irak, et voilà comment M. Bush le remercie. Il a appris lundi que les Européens n'allaient pas non plus mourir pour Tbilissi. Certes, l'impuissance européenne a d'excellentes raisons : Vladimir Poutine a déjà eu l'occasion de montrer qu'il pouvait couper l'approvisionnement en pétrole et en gaz de l'Europe, et plus singulièrement celui de l'Allemagne, sur un simple caprice ; qu'il fait de l'énergie un moyen de chantage sur l'UE ; et qu'il entend regagner l'influence qu'il a perdue dans une région qu'il considère comme son glacis.
Dans ces conditions, les moyens de pression des Européens ne risquaient pas d'être à la hauteur de leur colère. À Bruxelles, ils ont cherché la voie d'une réaction subtilement diplomatique qui expriment leurs sentiments sans aggraver la tension avec Moscou.
Ce n'est sûrement pas suffisant ; mais on ne pouvait s'attendre à rien de plus substantiel. D'abord, la réaction européenne aurait dû être tonitruante dès le premier jour de l'invasion, au lieu d'apparaître comme le grommellement d'une personne dérangée pendant sa sieste au mois d'août ; ensuite, il apparaît a posteriori que la recherche d'un accord avec Moscou était contre-productive. Aujourd'hui, l'Europe se trouve dans une deuxième phase : l'invasion appartient au passé ; ce qui devient le problème est la non-application du retrait russe. Comme les Russes font exactement ce qu'ils veulent en Géorgie et qu'ils promettent de partir tout en ravageant le pays, la négociation ne semble pas non plus la méthode la plus indiquée.
Traiter les Russes comme ils nous traitent.
Les Géorgiens boiront donc la coupe jusqu'à la lie ; car il n'existe aucune solution immédiate. À plus long terme, en revanche, il est très possible de renforcer les liens avec les pays Baltes pour indiquer aux Russes la ligne rouge qu'ils ne doivent pas franchir ; de soutenir le régime ukrainien dans son désir d'affranchissement de la Russie ; et de poursuivre dans le Caucase la politique d'encerclement de la Fédération russe entamée par les États-Unis.
En d'autres termes, il serait bon de traiter les Russes avec un cynisme identique au leur ; de leur rappeler que là où ils se conduisent en terrain conquis, ils rencontreront les mêmes déboires que les coalitions occidentales qui guerroient en Irak et en Afghanistan (et, au sujet de ce dernier pays, ce qu'ils y ont eux-mêmes enduré) ; de secouer un peu leurs propres opinions, totalement indifférentes au sort des Géorgiens et complaisantes avec un régime autoritaire et antidémocratique.
La Russie ne peut pas se passer des investissements occidentaux et du marché européen. Si le climat se détériore un peu plus, son économie, qui souffre déjà du bruit de la guerre, risque de s'effondrer, justement parce qu'elle n'est soutenue que par l'énergie et ne s'est pas encore diversifiée. C'est, sans nul doute, une analyse commode qui permet aux Européens de ne rien faire pour le moment ; mais il vaut mieux être réaliste : puisqu'ils ne peuvent rien faire, qu'ils montrent au moins aux Russes le précipice vers lequel ils courent.
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