Trois questions
Les complications somatiques aiguës et les risques vitaux sont habituellement bien connus des médecins susceptibles d’intervenir auprès de ces jeunes patientes. A l’inverse, les répercussions au long cours de l’anorexie mentale sont difficiles à préciser, parce qu’en partie insuffisamment évaluées, et sont donc fréquemment ignorées du public médical.
Parmi toutes les complications organiques (digestives, cardiologiques, rénales, dermatologiques…), il est habituel de citer les complications osseuses, et en particulier l’ostéoporose.
Les questions posées sont alors de trois ordres :
– pourquoi l’os ?
– quel type d’atteinte et quels facteurs impliqués ?
– quelle prise en charge ?
Evolution du remodelage osseux
Le remodelage osseux est soumis à plusieurs phases évolutives au cours de la vie, dont la première est la période de croissance osseuse (ou d’acquisition).
La phase de préadolescence jusqu’à la fin de la croissance correspond à une période particulièrement critique dans l’acquisition du pic de masse osseuse (de 10,5 à 14,6ans chez la fille). Physiologiquement, la phase de croissance osseuse se termine trois à quatre ans après la ménarche. Le pic de masse osseuse est soumis à différents facteurs physiologiques (génétique, nutritionnel, endocrinien…), mais est également déterminé par différents éléments environnementaux, tels que l’activité physique, la consommation de tabac, etc.
Ainsi, les carences d’apport (phosphocalciques et vitaminiques D, en particulier), l’insuffisance pondérale (et la modification de la composition corporelle), l’hypoestrogénie, les modifications endocrinien- nes (hypercortisolisme, modifications de l’axe thyréotrope), l’hyperactivité physique sont autant de facteurs susceptibles d’interférer avec le remodelage osseux au cours de l’anorexie mentale ( cf. annexe 1). La réduction du pic de masse osseuse est un facteur déterminant dans l’apparition d’une ostéoporose et semble directement corrélée au risque de développer des fractures ostéoporotiques après la ménopause.
Ainsi, le risque fracturaire, comparé à la population générale, est respectivement de 2,6 pour l’anorexie mentale, de 1,4 pour la boulimie nerveuse et de 1,8 pour les troubles alimentaires non spécifiques (Ednos), révélant au passage que les autres troubles des conduites alimentaires ne sont pas épargnés par l’atteinte osseuse.
Description
Description de l’atteinte osseuse au cours de l’anorexie mentale.
L’ostéoporose est une des complications somatiques survenant de façon précoce dans l’anorexie mentale. On estime que la perte osseuse débute précocement, environ six mois après le début de la perte pondérale, entraînant un retard d’acquisition du pic de masse osseuse et une récupération partielle à l’âge adulte fonction, entre autres, de l’évolution du syndrome anorexique ( cf. annexe 2). Cette atteinte osseuse concerne aussi bien les garçons que les filles, et aussi bien les adolescents que les adultes.
On estime que 40% des adolescents souffrant d’anorexie mentale auront une densité minérale osseuse (DMO) diminuée pendant douze à seize mois d’évolution de leur maladie, multipliant par7 le risque fracturaire (os longs, tassements vertébraux).
Chez l’adulte, 92% des patientes anorexiques présentent une ostéopénie à au moins un des sites étudiés, 38% présentent une ostéoporose au moins à un des sites étudiés.
Parmi les facteurs susceptibles d’interférer avec le remodelage osseux, il est habituel de citer :
– la durée de la maladie anorexique (en particulier pour des IMC < 15),
– ladurée de l’aménorrhée,
– l’âge de la ménarche (caractère primaire de l’aménorrhée).
Les facteurs nutritionnels semblent néanmoins être déterminants, indépendamment de la durée ou de la sévérité de la carence estrogénique. Cela semble confirmé par la sévérité de l’atteinte osseuse dans l’anorexie mentale, comparativement aux autres causes d’aménorrhée centrale (par atteinte hypothalamo-hypophysaire) : 87 % des patientes anorexiques présentent une densité minérale osseuse (DMO) au rachis < 1DS vs sujets contrôles, contre 37 % pour des patientes souffrant d’insuffisance gonadotrope d’une autre origine ;
– le poids joue, bien sûr, un rôle déterminant dans la survenue et l’évolution de l’ostéoporose : un IMC<15 augmente de façon significative le risque osseux ; à l’inverse, un IMC >16,5 semble favorable à la reprise de l’ostéoformation. Néanmoins, certains auteurs rapportent la persistance d’une ostéopénie plusieurs années après la normalisation pondérale (concernerait 30 % des anorexiques «guéries») ;
– la composition corporelle, en particulier le pourcentage de masse maigre (évalué par la composition corporelle), interviendrait via les contraintes mécaniques ;
– la consommation de matières grasses semble également jouer un rôle important dans la sévérité de l’atteinte osseuse.
D’autres facteurs associés peuvent intervenir :
– le type d’anorexie : les patientes anorexiques ayant une composante mixte (Purging Type) ont une DMO plus basse que les restrictives pures ;
– l’ existence d’un syndrome dépressif associé.
Evaluation et prise en charge
L’ostéodensitométrie (absorptiométrie biphotonique) permet de mesurer la DMO globale (corps entier) et à différents sites (fémur, rachis) en la comparant à des valeurs de référence pour l’âge (T-score) et à des valeurs de référence de sujets adultes âgés de 20 à 30 ans (maximum du pic de masse osseuse) (Z-score) ( cf. encadré 3).
Cet examen, non invasif, doit être réalisé par une équipe compétente, disposant de valeurs de référence pour l’âge, en raison du risque de surévaluation de l’atteinte osseuse si les valeurs de référence sont des valeurs adultes.
Pour les anorexies prépubères, la réalisation d’un âge osseux est recommandée, en raison du retard pubertaire associé (âge osseux < âge chronologique).
Le risque de fractures de fatigue est élevé, en particulier chez les patientes qui ont une hyperactivité physique majeure.
La recherche d’une douleur osseuse (talon, dorsolombaire) d’apparition brutale, sans traumatisme retrouvé, fait partie de l’examen clinique. En cas de fracture, l’hospitalisation en service spécialisé peut être proposée, afin de limiter l’aggravation de la lésion fracturaire.
L’impact de la prescription, de la réalisation de l’examen et de l’annonce des résultats de l’ostéodensitométrie semble être non négligeable. En effet, des réactions initiales favorables et, surtout, des modifications durables des comportements ont été notées en lien avec cet examen, indépendamment de la nature des résultats osseux. Cet aspect doit être connu des médecins prescripteurs.
Traitements
Contrairement à l’ostéoporose postménopausique, les traitements substitutifs estroprogestatifs n’ont, à l’heure actuelle, pas fait la preuve de leur efficacité dans l’ostéoporose secondaire associée à l’anorexie mentale.
La substitution estroprogestative pose différentes questions : les estrogènes naturels semblent devoir être privilégiés pour leurs effets osseux, l’utilisation de contraceptifs oraux (éthynilestradiol) risquant de s’opposer à la reprise d’activité de l’axe gonadotrope, ce qui semble particu- lièrement préjudiciable chez les patientes en aménorrhée primaire. L’introduction trop précoce d’estroprogestatifs risquant, en outre, d’entraîner une soudure trop précoce des cartilagesde croissance, et compromettre la reprise de croissance.
Dans cette réflexion, il faut bien sûr distinguer les cas d’anorexie chronicisés chez l’adulte ayant potentiellement une sexualité.
La nécessité d’une substitution vitamino-calcique doit être évaluée en fonction de l’enquête diététique sur les apports calciques et du dosage de la vit.25OHD3 (substitution recommandée pour un seuil de 30 µg/l).
D’autres traitements sont actuellement à l’étude dans ce type d’indication : les bisphosphonates, l’ IGF-1 recombinante, etc., mais ils ne sont pas disponibles en pratique clinique courante.
Endocrinologue, praticien hospitalier Maison des adolescentsHôpital Cochin, Paris
Définitions
– Ostéoporose : score < – 2,5 DS
– Ostéopénie : – 2,5 DS ≤ T-score ≤ – 1 DS
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