Il n’existait, dans les années 1960 à fin 1970, ni dosage d’HbA1c, ni de microalbuminurie, pas d’autosurveillance glycémique, de stylo à insuline encore moins pompes ! L’éducation thérapeutique n’avait pas encore vu le jour. Il n’y avait que des insulines animales – de cinétique et tolérance déplorables – ainsi que les biguanides et les sulfamides hypoglycémiants. Point de statines ni médicaments agissant sur le SRA. Aucune grande étude n’avait été entreprise sur les effets du contrôle tensionnel, lipidique ni même glycémique, hormis l’UGDP, dont les conclusions étaient assez décevantes et laissaient les praticiens désamparés.
Tout ce qui n’existait pas...
La plupart des patients étaient dramatiquement mal contrôlés au plan glycémique, avec à la clé des acidocétoses à répétition et mortelles chez les DT1, et des comas hyperosmolaires chez les DT2. Aux plans tensionnel et lipidique, le contrôle était également déplorable, entraîannt des complications diverses (cécité, insuffisances rénales, amputations) une mortalité majeure pour les DT1 et DT2. Parmi eux, aucun n’atteignait le stade de la dialyse puisqu’ils décédaient bien avant.
L’apport considérable des grandes études
Mais ces décennies ont d’abord été celles des grandes études. Trois ont totalement bouleversé nos connaissances – démontré les bénéfices du contrôle glycémique, tensionnel puis lipidique : le DCCT, l’UKPDS et le STENO 2. Elles ont parfaitement démontré l’effet majeur des thérapeutiques, tant au plan de la micro-angiopathie que de l’atteinte des gros vaisseaux. Elles ont donné des arguments et soutenu la volonté des diabétologues, qui en avaient un immense besoin, face à une médecine qui considérait alors le diabète comme une maladie incurable et les diabétiques incontrôlables, dans tous les sens du terme !
L’apport de l’éducation thérapeutique a d’ailleurs été considérable, ouvrant, pour toutes les spécialités, une autre manière de penser le soin. La prise en charge globale a conduit à l’invention de concepts comme l’écoute et le partage, qui aboutiront en 2012 à la notion « d’individualisation » des soins, qui prend en compte les besoins et les capacités, les souhaits, la motivation de chaque patient.
La baisse de la mortalité totale et cardiovasculaire
Dans l’étude Framingham (États-Unis) ont été comparées les mortalités toutes causes (MT) et cardiovasculaires (MCV), entre la période 1950-1975 vs 1976-2001. Dans la population non diabétique, la baisse fut de 30 % pour la MT et de 60 % pour la MCV, contre 23 et 58 % chez les diabétiques. Au Danemark, le registre entrepris en 1995 a constaté un doublement de la prévalence du diabète entre 1995 et 2007, parallèlement à une baisse de mortalité de 40 % dans les trois premières années après inclusion, puis de 4 %/an, contre 2 %/an dans la population non diabétique. En Grande-Bretagne, la mortalité a diminué de 37 % entre les patients DT2 diagnostiqués en 1995 et ceux diagnostiqués en 2006 (UKGPRD près de 50 000 patients suivis). Dans deux autres études (Canada et Grande-Bretagne), le risque relatif de décès des diabétiques a diminué de 44 % (RR de 1,9 à 1,5 Ontario et de 2,14 à 1,65 en THIN database GB, voir fig. 1). Dans une étude Australienne publiée en 2014, entre 1997 à 2010 la mortalité totale est passée de 9,4 à 5,5/1 000 patients/années (presque – 50 %) et de 44,5 à 29,2 % pour la mortalité cardiovasculaire chez les hommes, de 45,5 à 31,6 % pour les femmes (1).
Amputations
Domaine dramatique qui représente un des plus grands progrès, les amputations restent aussi un enjeu considérable aujourd’hui encore. Le « pied diabétique » a été décrit dès 1887 dans le Lancet, il est d’origine artérielle et/ou neuropathique. En 2010, une étude finlandaise a été publiée montrant une baisse de 50 % des amputations majeures en 11 ans entre 1997 et 2007, tant chez les DT1 que DT2. Mais ce risque reste 7 fois plus élevé que dans la population non diabétique. Aux États-Unis, entre 1996 et 2008 la baisse des amputations chez les diabétiques de plus de 40 ans a été de 67 % mais, là encore, reste huit fois plus élevée que dans la population non diabétique (2). Dans une autre étude menée aux États-Unis (Veterans Health Administration), la baisse des amputations a concerné toutes les formes, mineures, majeures : en moyenne de 35 % entre 2000 et 2004, de 49 % au-dessus du genou (3).
Enfin, une vaste étude a été publiée montrant, entre 1990 et 2010, une baisse de 68 % des infarctus du myocarde, de 53 % des AVC, de 52 % des amputations, de 28 % des insuffisances rénales terminales, et de 64 % de décès par hyperglycémie majeure (4, fig. 2).
Rétinopathie diabétique
On connaît, pour la rétinopathie diabétique, le rôle pathogène de l’hyperglycémie et de l’hypertension artérielle. Une étude multinationale portant sur plus de 23 000 patients diabétiques (20-79 ans), soit 35 études poolées, a montré une baisse spectaculaire entre les patients pris en charge avant ou après l’année 2000 : une baisse de toutes formes de rétinopathie de 50 %, de 67 % des formes proliférantes, de 40 % des œdèmes maculaires et de 49 % des rétinopathies menaçant la vue (5, fig. 4). Cette étude a, de plus, apporté une information essentielle en ces temps où certains doutent de l’intérêt de contrôler la glycémie, dans la mesure où les bénéfices cardiovasculaires ne seraient pas démontrés : c’est que le fait d’avoir une HbA1c ≤ 7 % ; entre 7,1 et 8 % ; 8,1 et 9 % ; ou› 9 %, change radicalement le risque de toutes les formes de rétinopathie (fig. 5), en particulier les formes les plus sévères, par exemple d’un rapport de 1 à 3 ou 4, entre 7 et 9 % d’HbA1c.
Insuffisance rénale terminale
Chacun sait que, depuis deux décennies, le diabète est devenu la première cause d’insuffisance rénale terminale (IRT) et de mise en dialyse : de 5 000/an en 1982 à 50 000/an en 2006. Ceci reflète d’une part l’augmentation de l’incidence des diabètes, surtout de type 2, de l’allongement de leur espérance de vie, grâce au moindre risque de décès prématuré d’origine cardiovasculaire. Jusqu’à présent, en somme, cette complication n’a fait que croître de façon apparemment inéluctable. Mais bonne nouvelle, pour la première fois aux États-Unis, l’incidence de l’IRT a diminué de 35 % entre 1996 à 2007 passant de 304 à 199/100 000 patients, malgré la poursuite de la montée de la prévalence du diabète – de 4,2 à près de 8 % de la population totale (6, fig. 6).
Également, en Autriche, entre 2004 et 2010 on a constaté une baisse de 26 % des prises en charge en dialyse de diabétiques, principalement de type 2. Une autre étude a montré que la mortalité toutes causes des DT2 atteints de néphropathie a diminué de 50 % en Scandinavie entre 1983-2002 par comparaison à 2000-2010.
Mais qu’en est-il des jeunes DT1 ? G. Schernthaner rappelle que, 20 à 30 ans auparavant, 15 à 20 % des jeunes DT1 devaient être pris en charge en dialyse après 20 ans de suivi, contre moins de 1 % aujourd’hui. Une étude suédoise montre que l’incidence cumulée, après 30 années de diabète de type 1, est de 4,1 % chez les hommes et 2,5 % chez les femmes pour des diabètes survenus avant l’âge de 9 ans ou entre 10 et 19 ans (7).
Controverse contrôle glycémique intensif et risque cardiovasculaire
Nous ne reviendrons pas dans le détail sur la controverse quant au contrôle glycémique intensif et ses effets sur le risque cardiovasculaire. G. Schernthaner a d’abord rappelé que, dans toutes les grandes études – UKPDS, ProActive, ACCORD, ADVANCE et VADT – le groupe dit « non intensifié » ou « standard » avait une HbA1c en moyenne à 7,5 %, contre 7 à 6,4 % (ACCORD) dans le groupe intensifié (soit – 0,9 %). Il rappelle que, sur l’ensemble de ces études, le contrôle glycémique intensif a réduit de 70 % les IDM non fatals (fig. 7) et pour, toutes causes de mortalité, l’effet du contrôle strict a été neutre, sauf dans ACCORD (fig. 8) qui a représenté, chacun le sait, une approche thérapeutique extrêmement agressive sans aucun rapport avec les pratiques habituelles.
En somme, on a fait dire à ces résultats, de façon coupable selon lui, que le contrôle glycémique strict était dangereux et à éviter. On sait combien certains ont instrumentalisé ces données. Néanmoins, il est rappelé que c’est le contrôle tensionnel qui réduit le plus le risque de décès CV sur 5 années : de 12,5 % pour – 4 mmHg, alors qu’il est réduit de 8,2 % pour – 1 mmol/l de LDLc, et de – 2,9 % pour – 0,9 % d’HbA1c (8). Il note que la relation risque coronaire/glycémie à jeun est faible, contrairement à celle avec le taux de cholestérol total ou la pression artérielle systolique (9).
Il a rappelé aussi que, dans ACCORD sur 5 ans, la mortalité globale et CV ont été un peu plus élevées dans le groupe intensif, mais la microalbuminurie (– 32 %), la macroalbuminurie (– 21 %) et la rétinopathie (– 33 %) ont été remarquablement réduites grâce au strict contrôle des glycémies. L’étude ADVANCE a bien établi que le seuil d’augmentation du risque de décès toutes causes et d’événements CV majeurs se situe à 7 % d’HbA1c, contre 6,5 % pour la microangiopathie.
... Des progrès qui n’ont pas encore atteint tous les pays ?
Comment ces immenses progrès ont-ils été obtenus ? Guntram Schernthaner insiste d’abord sur le développement de la prise en charge éducative. Ensuite, sur le dépistage et une prise en charge précoces des glycémies, des lipides et de la PA, avec des approches plus agressives, dont le succès a aussi été assuré par la mise à disposition d’instruments de suivi (autosurveillance) et de nouveaux antidiabétiques, insulines, une diversification des antihypertenseurs plus efficaces, la venue des statines, sans oublier les matériels innovants (stylos, pompes), ainsi que le dépistage précoce des complications et les approches interventionnelles coronariennes, vasculaires périphériques et ophtalmologiques.
Tous ces progrès valent pour les pays développés (États-Unis, Europe, Australie, Canada), mais c’est dans les pays émergents (Asie, Afrique, Indonésie, Chine et Russie) que l’épidémie de diabète fait rage. Des diabètes y sont découverts avec retard, avec des complications déjà présentes et souvent dramatiques. Dans ces pays, les résultats sont très éloignés de ceux des notres. Il faut donc aujourd’hui particulièrement porter l’effort sur le développement de programmes nationaux dans ces régions du monde, où le diabète reste terriblement redoutable, de plus en plus leur problème de santé publique n°1, en fréquence et morbimortalité.
(1) Harding JL Diabetes Care 2014
(2) Li Y Diabetes Care 2012
(3) Tseng CL Diabetes Care 2012
(4) Gregg et al NEJM 2014
(5) Yau et al Diabetes Care 2012
(6) William ME. Seminar in Dialysis 2010
(7) Möllsten A Diabetes 2010
(8) Preiss D BMJ 2011
(9) Lancet 2010. P2215
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