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LA GRANDE BATISSE au fond d'un jardin qui abrite le musée de Montmartre est un de ces lieux où souffle l'esprit. Son premier habitant connu était un comédien de la troupe de Molière ; elle échappa de justesse à la grande opération de rénovation des années 1860 ; Renoir y peignit en 1876 le Moulin de la Galette, elle vit travailler Raoul Dufy, Émile Bernard et Suzanne Valadon qui y vécut un temps avec son fils Utrillo. Actuellement, l'affiche qui annonce l'exposition ouverte depuis la fin de l'automne montre deux magnifiques chats sur fond rouge barrés du nom de Steinlen, auquel le musée consacre la quasi-totalité de ses salles.
L'illustre illustrateur montmartrois est pourtant né bien loin de là, à Lausanne. Il a 22 ans quand il arrive à Paris, en 1881, et s'installe résolument sur la Butte, récemment rattachée à Paris et transformée en chantier.
On voit vivre sur ses dessins expressifs le peuple laborieux chanté par Bruant, des ouvriers, des lavandières, des porteuses de pain, des charpentiers, des vagabonds, des gamins des rues et des piliers de bistrots. Sans oublier les chats, les fameux chats, noirs ou tigrés, qui hantent alors les jardins et les ruelles et sont restés comme la signature de Steinlen.
Au-delà des grisettes, des lorettes, des scènes de bordels et de bistrot, certaines images dégagent une profonde émotion. Il n'y a pas que les matous autour du Chat Noir, que Steinlen fréquente assidûment. Il y rencontre les anciens communards, les bouffeurs de curés, détracteurs de l'armée et anars de tout poil, qui refont autour d'un verre d'absinthe le monde nouveau de la IIIe République.
Du côté du peuple.
Les quelque 120 œuvres exposées montrent les diverses facettes de son talent et de ses idées. Steinlen partage les tendances du mouvement libertaire, donne des dessins à des journaux contestataires comme « l'Assiette au Beurre », « le Chambard », « le Gil Blas », et se place toujours du côté du peuple.
Quand la Grande Guerre éclate, Steinlen a 55 ans, il n'y participe donc pas - d'ailleurs il est Suisse -, mais l'observe de son atelier à Montmartre. Tout commence avec la mobilisation de l'été 1914, qui devient sous son crayon « la Victoire en chantant », une troupe de jeunes soldats conduits par une parodie grinçante de « la Marseillaise ». Mais il montre surtout l'absence, la peur, les privations, le retour des blessés et des permissionnaires, la résignation des poilus, leur bravade. Il y a ceux qui chantent sur la route, ceux qui gardent le moral en montant dans le train : « Vous en faites pas, nous on s'en fait pas », bravade ou inconscience ? Il y a aussi ceux qui restent : l'exode, les Verdunois à la gare de l'Est, les blessés, la vieille des ruines, Sans famille.
Le plus saisissant est l'image de 1915 qui clôt le catalogue sous ce simple intitulé : « la Gloire ». On y voit quatre femmes en grand deuil, veuves ou mères, ou sœurs, devant un cercueil couvert d'une palme et d'un drapeau tricolore.
Musée de Montmartre, 12, ue Cortot, 75018 Paris. Ouvert chaque jour sauf le lundi, de 10 heures à 18 heures, jusqu'au 13 février. Entrée : 5,50 euros. Catalogue : 40 euros. Autour de l'exposition, le centre culturel de la rue Cortot propose diverses animations. À l'adresse des plus jeunes, des livrets-jeux, des contes, un théâtre d'ombres qui évoque le Chat Noir, et un atelier pour créer soi-même son affiche. Les adultes trouveront un programme de conférences et tous peuvent profiter du jardin, de la boutique et de la librairie.
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