« Roselyne Bachelot, François Baroin, Nora Berra et Xavier Bertrand doivent s’expliquer sur cette dissimulation scandaleuse… » Dans un communiqué commun, le Collectif interassociatif sur la santé (Ciss), la Fédération nationale des associations de réinsertion sociale (Fnars) et l'Observatoire du droit à la santé des étrangers accusent le gouvernement d’avoir -pour mieux faire adopter la réforme de l’Aide Médicale d’Etat (AME)- dissimulé le contenu du rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’Inspection générale des Finances dont le ministère de la Santé disposait, semble-t-il, depuis le 24 novembre.
Ces mesures restrictives, adoptées par le Parlement dans le cadre du budget 2011 du ministère de la Santé visent notamment à instituer un droit d’entrée de 30 euros par an à la charge des étrangers clandestins concernés par le dispositif. Elles définissent d’autre part de façon assez étroite la notion d’ayant-droits des étrangers. Et enfin, elles excluent du panier de soins dispensé dans le cadre de l’AME, les soins dont le service médical n’est pas suffisant.
6 millions d’économisés... mais 20 millions de gaspillés
Patatras ! Le rapport de l’IGAS commandé en juillet dernier et qui vient finalement d’être rendu public remet en cause le bien fondé de ces mesures. Rédigé notamment par l’ancien directeur de l’AP-HP (puis PDG du groupe Bayard-Presse) Alain Cordier, il conteste notamment le principe du fameux ticket d’entrée, jugé économiquement improductif et néfaste sur le plan sanitaire. Les deux rapporteurs ont calculé que sur la base de 200 000 adultes bénéficiaires, ces nouveaux droits d’entrées rapporteront en effet 6 millions d’euros. Bien peu finalement, compte tenu des frais de gestion de cette taxe et surtout des coûts induits par les retards de prise en charge induits par cette mesure. Au terme d’un calcul rapide, l’IGAS estime que, même si seulement 10 % des bénéficiaires reportaient leurs consultations en ville pour être pris en charge plus tard à l’hôpital, il en coûterait une vingtaine de millions d’euros supplémentaires au titre de l’AME ! Le rapport est également sensible au risque d’extension de foyers contagieux au reste de la population, en cas d’accès différé au dispositif, en faisant remarquer que « plusieurs études révèlent la surreprésentation de certaines maladies transmissibles au sein de la population des consommants AME. »
Autant dire que l’utilité de la mesure phare adoptée par les députés (contre l’avis des sénateurs, et avec la bénédiction du gouvernement) se trouve complètement démontée par l’argumentation de l’IGAS. Le reste des arguments évoqués lors du débat parlementaire est lui aussi balayé. L’IGAS reconnaît certes « une forte augmentation des dépenses d’ÂME » : + 13,3 % en 2009, + 12,3 % au premier semestre 2010. Mais l’Inspection y voit surtout l’effet d’un report sur l’AME de dépenses qui n’auraient pas dû y être affectées et d’un meilleur contrôle des droits par les hôpitaux. Pour le reste, il n’y aurait « pas de croissance massive du nombre des bénéficiaires de l’AME. »
Huit fois sur dix, le bénéficiaire de l’AME est un homme seul
Le rapport Cordier vide notamment de sa substance un des griefs formulés par certains députés de la majorité selon lequel l’AME profiterait en réalité à de véritables « smalahs » de femmes et d’enfants : « Les bénéficiaires de l’AME sont majoritairement des hommes seuls dans un état de santé dégradé, ne recourant aux soins et à une couverture maladie qu’en cas de besoin. A plus de 80 %, ils n’ouvrent des droits que pour eux-mêmes. Les familles de six personnes et plus constituent moins de 0,5 % du total des ouvrants droits, » souligne le rapport. L’Igas qui a enquêté pour l’essentiel à Bobigny et à Paris -principaux « viviers » de bénéficiaires de l’AME- relève certains cas de PMA ou de greffes. Mais elle souligne que les procédures mises en place pour ces soins coûteux limitent de facto le risque de tourisme médical. Surtout, elle pointe le fait que la consommation médicale des sans papiers de l’AME (1 741 euros en 2008) est inférieure au bénéficiaire de la CMU (2 606 euros) et finalement pas si éloigné de l’assuré lambda (1 580 euros en moyenne). En fait, en comparaison de ce dernier, le titulaire de l’AME dépensera moins en soins de ville et plus en soins hospitaliers.
Au total, les conclusions de l’IGAS sont pain béni pour les associations de soutien au dispositif. L’inspection générale des affaires sociales juge en effet qu’il n’est «pas possible d’établir un lien statistique entre l’évolution des dépenses et l’évolution des abus et des fraudes» à l’AME. Et comme les défenseurs du dispositif, elle suggère par ailleurs la fusion de l’AME et de la CMU. Ou, « à défaut de mettre fin à l’empilement de dispositifs, la mission préconise a minima une harmonisation rapide des pratiques administratives. »
Sans attendre cette perspective, l’opposition et les associations ont repris la balle au bond pour demander au gouvernement de revenir sur les mesures qui avaient fait polémique en décembre. Le député PS Jean-Marie Le Guen et plusieurs associations ont notamment réclamé que l’on revienne sur l'instauration du droit d'entrée de 30 euros à la charge des bénéficiaires de l’AME. « Comme le démontre le rapport IGAS-IGF, une telle mesure ne ferait qu'instaurer une bureaucratie coûteuse, discriminatoire, dangereuse pour la santé publique et parfaitement injustifiée dans ses fondements », écrit le député socialiste de Paris, spécialiste des questions de santé. « Une fois encore, le gouvernement s'est laissé aller à une politique de stigmatisation des étrangers parfaitement injustifiée qui ne fait que renforcer les penchants xénophobes de son propre camp », conclut-il.
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