IL Y A EU la drôle de guerre, la défaite, la débâcle, l'humiliation, bref, la France a été vaincue. L'astuce pénétrante du livre est de montrer grâce aux dits et écrits que tout événement extérieur symbolise une image du corps. La défaite fut au propre comme au figuré une débandade.
«Un homme vaincu est-il encore un homme?» Le vaillant et le viril soldat français peut-il se ranimer, dans la mesure où la défaite ne va jamais sans un lourd sous-entendu : tout soldat vaincu cesse de se mettre au garde-à-vous, cache une chiffe molle dans la vie privée. Il est intéressant d'analyser la manière dont la propagande de la révolution nationale a fait flèche idéologique de ce petit bois mouillé.
Obsessionnel leitmotiv, assumons ce pléonasme pour en dire l'intensité : la France selon Vichy s'était, après la victoire de 14-18, engloutie dans les plaisirs vils, amollissants. Victoire peut-être, mais les 300 000 invalides de guerre, cassés, diminués, font mauvaise impression, ce qui leur reste de virilité est entre les mains des infirmières.
Une révolution virile.
Le cinéma comme la chanson est un remarquable repère pour situer le profil des nouveaux mâles. «Insensiblement, dit Patrick Buisson, la représentation du “sexe fort” s'est délestée de ses attributs martiaux pour s'incarner à travers les nouvelles figures que popularise une abondante production cinématographique: séducteurs quinquagénaires, titis prolétariens, sportifs délurés, mauvais garçons cultivant la fleur bleue.» Un héros positif incarné par le Gabin du « Quai des brumes » (1939), mais un héros déserteur. Mistinguett chante son « Homme », ni fort, ni beau, ni riche, ni costaud. On attendait le roc, et tout sent le sable chaud.
En se faisant le chantre d'une révolution virile, d'un homme nouveau accoutumé aux plaisirs sains et naturels, la pensée vichyste va trouver un allié cruel car perturbateur : l'exhibition des troupes allemandes dans le Paris occupé, et plus particulièrement celle du soldat allemand aux muscles d'acier.
Les défilés des troupes d'Occupation créèrent un vrai choc sur les esprits. Citons l'auteur : «En colonne par quatre ou par huit, les troupes allemandes, briquées, astiquées, rutilantes, martèlent l'asphalte au pas de l'oie.» Choc sur la rédaction de la presse d'extrême droite, qui se plaît à opposer cette armée impeccable au Français avachi, débraillé, éthylotabagique. Les Drieu, Chardonne, Bonnard sont éblouis par «ces types magnifiques d'humanité».
Choc sur la population, car on attendait des hordes de «boches violents et violeurs». Or ils sont si corrects, aident les vieilles à traverser et consomment beaucoup. Mais, surtout, ces superbes garçons blonds au teint hâlé, à la carrure athlétique, déclenchent des hystéries collectives chez les femmes.
Amitiés particulières.
Les soldats allemands en campagne, et à la campagne, donnent à voir ce spectacle invraisemblable pour un Français : des hommes qui se baignent nus dans l'eau glacée d'une fontaine. Avec beaucoup de subtilité, Patrick Buisson va montrer comment l'archétypal corps germanique se teintera progressivement de valeur homosexuelle. Révélateur est à cet égard le croisement entre la star Jean Marais, séducteur à la sexualité ambiguë, et le sculpteur du régime hitlérien, Arno Breker, qui lui demandera de poser pour lui. Jean Marais-Tristan, «image matérialisée de l'attirance française pour l'Allemagne», permettra, lorsque approche la défaite de celle-ci, l'équation nazis-pédérastes, antithèse inattendue du bronze vert initial.
Terrifiante ambivalence des tendances réversibles de la collaboration, l'Idéal de naturel simple et sain doucement corrompu par l'appel des amitiés particulières.
La guerre accumule les foules en de vastes mouvements incoercibles : panique de l'exode, confus refuge contre les bombardements ; le métro, excitations et acclamations des occupants qu'on voudra lyncher le lendemain, débordements à tous les sens du mot pour le beau soldat américain. Ces divers mouvements sont faits de beaucoup d'épanchements, d'élans mal contrôlés dans lesquels, du pelotage furtif à l'assaut final bien accepté, le sexe se donne libre cours.
C'est l'immense intérêt de ce livre de révéler toutes les frustrations que la guerre engendre : les femmes des prisonniers des stalags trouvèrent, c'est vrai, d'énergiques blonds remplaçants. De nombreuses fermières allemandes ouvrirent plus que leur étable aux laborieux prisonniers français. Au risque parfois d'entacher la pureté de la race aryenne...
Il y aura une suite. Toujours grivois, Patrick Buisson promet deux très beaux volumes.
Patrick Buisson, « 1940-1945 - Années érotiques - Vichy ou les importunes de la vertu », Éditions Albin Michel, 560 p., 24 euros.
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