C'est désormais une certitude : les négociations conventionnelles entre les syndicats de médecins libéraux et l'assurance-maladie, qui sont entrées dans leur phase décisive, se dérouleront, jusqu'à la dernière heure, sur le fil du rasoir. « Au couteau et à la hache, avec j'espère un calumet de la paix à la fin », avance un responsable de syndicat médical, qui veut rester « optimiste ». Comme tout le monde.
Lors de la première séance officielle de négociations, d'une durée très raisonnable (cinq heures), les partenaires conventionnels ont tout fait pour prolonger le relatif état de grâce de ces derniers mois en se contentant de bâtir ensemble, ce qui n'était pas rien, l' « architecture de l'accord » (voir ci-dessous). Cette réunion plénière a d'ailleurs été suivie de plusieurs contacts et groupes de travail techniques entre les parties, en fin de semaine dernière. Mais en repoussant aux deux ultimes séances (3 et 11 décembre) l'examen au fond des dossiers et surtout le « chiffrage » des revalorisations qu'attendent en particulier les spécialistes en secteur I, la tension est montée d'un cran. « Plus on se rapproche du but, plus les médecins sont sur leurs gardes », analyse un vieux routier des négociations. Pour un autre, le « risque de clash est loin d'être nul ».
Dans son discours inaugural, Jean-Marie Spaeth, président de la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM), a lui-même mis les pieds dans le plat, en désignant implicitement la demande de liberté tarifaire des syndicats médicaux comme « l'un des probables points épineux des négociations qui s'ouvrent ». « Vous comprendrez, je pense, a-t-il expliqué, notre attachement à l'opposabilité des honoraires, elle est pour le patient une garantie de l'accès aux soins, elle est pour le médecin une garantie d'avoir une relation thérapeutique avec son patient sans interface financier ». Une prise de position qui n'était pas anodine à l'heure où la quasi-totalité des syndicats réclament, sous des formes très diverses, de nouveaux espaces de liberté tarifaire accessibles aux médecins libéraux. Le dépassement des honoraires opposables sera-t-il un des points de blocage des négociations ? Les syndicats restent prudents car la caisse a bien mis à l'ordre du jour la « redéfinition du DE ». Autrement dit, elle accepte de discuter des modalités d'un dépassement encadré des honoraires lorsque la demande vient du patient. Pour le Dr Jean-Claude Régi, président de Fédération des médecins de France (FMF), qui campe sur la généralisation du secteur II à honoraires libres, « les revendications fortes de la FMF ont fait monter la barre ». « Désormais, ajoute-t-il, tout le monde, y compris la CNAM, parle de liberté tarifaire, ça devient même un point fondamental. »
Du côté de la CSMF et du SML, dont les analyses sont voisines sur la liberté tarifaire (les deux organisations plaident grosso modo pour une possibilité de dépassement d'honoraires circonstanciée qui pourrait correspondre à un tiers des actes), on constate les divergences avec l'assurance-maladie, sans parler de casus belli pour l'instant. « La caisse aborde les négociations avec sa position, je pars avec une autre mais nous ne sommes pas dans des diktats », tempère le Dr Dino Cabrera, président du SML, qui ne trouve « pas choquant » que le président de la CNAM défende l'opposabilité des honoraires.
Le coût de la RCP au coeur des discussions
Jean-François Rey, président de l'Union nationale des médecins spécialistes conférés (UMESPE, branche spécialiste de la CSMF), est plus inquiet. « On n'a pas examiné les deux gros sujets qui fâchent : la valeur des actes des spécialistes mais aussi l'espace de liberté tarifaire, qui va à l'encontre de la philosophie des caisses. » On ne saurait mieux dire : la quasi-totalité des confédérations de salariés, qui sont en campagne pour les élections prud'homales du 11 décembre, ont exprimé leur hostilité aux nouveaux espaces de liberté tarifaire (« le Quotidien » du 26 novembre). Le Dr Jean-Gabriel Brun, président de l'UCCSF-Alliance, note pour sa part « une ouverture des caisses sur la liberté tarifaire, mais qui ne suffit pas ». Seul MG-France semble proche de la position de l'assurance-maladie sur le dépassement d'honoraires. Lors de son récent comité directeur, le syndicat de généralistes a plaidé pour une « rénovation du DE » qui devra, « à l'instar de la nouvelle visite, devenir le lieu de la liberté partagée quand l'accès aux soins se fait délibérément hors des comportements définis dans des protocoles communs ». En clair, MG-France est partisan d'un usage élargi du DE actuel, mais déclenché à l'initiative du patient dans des situations « très particulières » où il existe un protocole de soins entre assurance-maladie, médecins et assurés. « Ce qui compte, explique le Dr Pierre Costes, président de MG-France, c'est que chaque patient ait un mode d'emploi transparent de l'accès aux soins. Si sa demande relève du service, alors l'usage du DE est légitime ».
Le tournure que prendra la discussion sur la liberté tarifaire dépendra évidemment du niveau de revalorisation des honoraires opposables que l'assurance-maladie acceptera dans le cadre de la nouvelle hiérarchisation des consultations. « Si la nouvelle valeur des actes rejoint les attentes des spécialistes, l'exigence de liberté tarifaire passera au second plan », rappelle le Dr Rey (UMESPE).
Le Dr Cabrera est plus précis. « Il est hors de question, par exemple, d'accepter un Cs à 23 euros au premier janvier (la consultation du spécialiste en secteur I vaut actuellement 22,87 euros) ». Si la CNAM n'a rien laissé filtré de ses intentions, chacun connaît le contexte des négociations : un déficit de la branche maladie que le gouvernement veut contenir à 7 milliards d'euros en 2003 et un objectif de progression des dépenses limité à 5,6 % pour les soins de ville (qui augmentent au rythme annuel de 8 %...).
Autre sujet sensible : les modalités exactes de la participation de l'assurance-maladie aux primes de responsabilité civile professionnelle (RCP). Selon un participant aux négociations, l'assurance-maladie pourrait accepter de prendre à sa charge les deux tiers du coût de la RCP. Mais, souligne le Dr Régi (FMF), « il n'est pas question que les caisses paient directement la RCP à la place des médecins car cela reviendrait à créer un lien de subordination supplémentaire ».
En revanche, la mise en place des nouveaux outils de la maîtrise médicalisée des dépenses ne devrait pas poser de problème majeur. Aucun syndicat médical ne conteste l'intérêt des accords de bon usage des soins (AcBUS), dont plusieurs thèmes sont déjà à l'étude, ni des contrats collectifs de santé publique ou du futur document médical de liaison et d'échanges autour du patient. Autrement dit : il existe aussi de bonnes raisons de trouver un accord dans les délais.
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