L’ÉLYSÉE s’est empressé, dès mardi soir, de démentir ce que « le Canard » allait publier le lendemain. Le général Philippe Rondot (l’hebdomadaire citait ses déclarations au juge d’instruction) démentait à son tour et affirmait que les accusations contre le président étaient sorties de leur contexte.
Il demeure que la Dgse n’a pas donné suite, en 1992, à des informations selon lesquelles M. Chirac possédait ce compte. L’article du « Canard » est habile dans la mesure où il rappelle que le maire de Paris de l’époque se rendait très souvent au Japon et qu’il était l’ami d’un grand banquier japonais, lequel s’apprêtait à faire un investissement colossal en France. En reliant ces faits, le lecteur pouvait se faire une opinion. Mais, dès l’après-midi, « le Monde » soulignait qu’il avait supprimé cette partie des déclarations du général Rondot le jour où il les avait publiées (le 3 mai). Motif : le manque de preuves.
Comme il est par ailleurs admis que le scandale vient plus des mensonges du corbeau et de l’usage qui en a été fait que de réelles opérations occultes et répréhensibles, il n’y a peut-être pas de raison de s’appesantir sur ce « scoop » qui ressemblera à un bobard tant que les faits n’auront pas été établis.
EN DENONCANT LA RUMEUR ET LA CALOMNIE, CHIRAC TENTE DE RENVERSER LE COURANT D'OPINION EN FAVEUR DE LA MAJORITE
La « dictature de la calomnie ».
En outre, l’énormité de la somme réduit encore la vraisemblance de la « révélation », dont « le Canard » aurait pu faire l’économie s’il n’avait voulu faire mieux que « le Monde ».
Il est admis que la presse joue un rôle essentiel dans ce type de scandale, dans la mesure où, en exigeant sans relâche la vérité, elle empêche la manipulation de la démocratie. Mais la médaille a son revers : les médias ont beaucoup contribué, depuis quelques semaines, au climat détestable qui règne en France. Et les correspondants étrangers assistent, effarés, à cette promenade au bord de l’abîme que nous faisons tous ensemble, politiques, journalistes et opinion, au risque de nous y précipiter avec nos institutions.
S’il n’y a rien de vrai dans les accusations de l’hebdomadaire satirique, il aura pris une lourde responsabilité : pour que la classe politique soit prise à partie, encore faut-il qu’elle commette des fautes ; mais si on lui en invente pour la discréditer, c’est l’accusateur qui triche.
Jacques Chirac ne s’y est pas trompé qui, dès mercredi matin, dénonçait «la dictature de la rumeur et de la calomnie». Propos fort et percutant. Message sous-entendu du chef de l’Etat : on va trop loin et, si on continue de la sorte, on n’aura fait que couvrir de boue un gouvernement qui ne le mérite pas. Message subliminal : la droite est victime ; on veut la démolir à un an des élections. Tant que la preuve de quelconques malversations n’aura pas été faite, l’opinion prendra fait et cause pour ceux qu’on tente de clouer au pilori par des moyens qui ne sont pas toujours d’une grande élégance.
Pas de secret de l’instruction.
On se pose en tout cas une question : s’il est souhaitable que la presse fasse des révélations pour rester un contre-pouvoir, comment se fait-il que les minutes d’une instruction se retrouvent dans les journaux et que le secret de l’instruction n’existe plus dans une affaire aussi grave ? Non seulement il y a un corbeau, dont le rôle machiavélique (et incompréhensible) n’est plus à établir, mais il y a partout, à tous les niveaux, des gens très mal intentionnés, des subversifs qui cherchent à atteindre le fonctionnement même des institutions.
On trouve d’ailleurs dans cette affaire un personnage inquiétant, Jean-Louis Gergorin, dont personne n’avait entendu parler, mais qui a acquis en quelques jours une réputation nationale, et pas des meilleures. On le soupçonne d’être le corbeau qui a accusé Nicolas Sarkozy et d’autres personnages politiques d’avoir un compte bancaire à l’étranger. D’autant que le juge Van Ruymbeke (autre révélation) se plaint amèrement dans les médias d’avoir été manipulé par M. Gergorin, qui lui a rendu visite en avril 2004 pour lui révéler quelques noms de personnages politiques liés à Clearstream (mais pas celui de M. Sarkozy). Des noms de personnages connus mais qui, en réalité – l’enquête l’a démontré – n’avaient pas de comptes à l’étranger. Le lendemain, le juge recevait le listing – mensonger – du fameux corbeau. Comment ne pas faire le rapprochement ?
Qui est Jean-Louis Gergorin ? Vice-président d’Eads, le constructeur d’Airbus, il vient d’être limogé. C’est un proche de Dominique de Villepin et il a travaillé au Quai d’Orsay avec l’actuel Premier ministre. Ces faits et les rapprochements qu’ils entraînent sont troublants. Ils montrent surtout que certaines personnes ne refusent pas les basses besognes qu’elles accomplissent dans de sombres officines et qu’un Premier ministre devrait se dispenser de leurs services ; ce qui, bien entendu, n’empêche pas M. Gergorin d’être présumé innocent.
En début de semaine, on envisageait une démission de Dominique de Villepin et son remplacement par Nicolas Sarkozy. Apparemment, le ministre de l’Intérieur n’a pas jugé le moment opportun de prendre en charge un gouvernement dont l’action risque d’affaiblir sa popularité avant la campagne électorale de l’an prochain. On ne saurait reprocher sa prudence à M. Sarkozy, qui constate par ailleurs que le désespoir incite M. Chirac à faire appel à lui en dépit de la qualité très mauvaise de leur relation. Sans compter l’ironie d’une affaire à la faveur de laquelle M. de Villepin aurait tenté de jeter le discrédit sur M. Sarkozy pour mieux plonger lui-même et lui céder la place in fine. Mais arrêtons là ce scénario à la fois vraisemblable et imaginaire. M. Chirac a renouvelé sa confiance au gouvernement, dont le chef entend travailler, en dépit d’une marche forcée de la justice qui la conduira fatalement à Matignon. Avec son extraordinaire intuition politique, il semble bien que M. Chirac ait senti mercredi qu’il allait inverser le courant d’opinion en faveur de la majorité : la presse n’a pas eu de mots assez durs pour ceux qui nous gouvernent, mais ils peuvent lui renvoyer la balle : certes, nous sommes tous fâchés contre le pouvoir et ce n’est pas la première fois que la moutarde nous monte au nez. Pourtant le traitement du scandale a été excessif, notamment parce qu’ont été formulées des accusations sans preuves et qu’a été bafouée, cette fois plus que jamais, la présomption d’innocence.
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